Ils ont grandi sans Internet et passent désormais leurs journées avec un smartphone en main. Cette connexion tardive, à contrecourant d’un symbole réservé aux jeunes, leur permet de rompre l’isolement, de s’instruire et de faire encore société dans un monde de plus en plus individualisé.
On les imagine parfois dépassés, méfiants ou carrément hostiles aux écrans. Pourtant, certaines personnes âgées ne voient pas le numérique comme un ennemi ou un énième progrès superficiel. Michel, Chantal et Christiane, tous âgés de plus de 70 ans, partagent un même point commun : le numérique occupe une place centrale dans leur quotidien, chacun à sa façon.
Christiane P., 73 ans, est aussi à l’aise avec un téléphone que le serait un jeune actif. Forte de huit petits-enfants, la septuagénaire a su parfaire ses compétences numériques grâce à eux. Elle utilise ChatGPT pour écrire des faire-part ou pour refaire sa salle à manger.
Son téléphone est aussi son agenda, son lien avec sa progéniture nombreuse et son outil de visioconférence. Je n’ai pas d’agenda papier. Si je perds mon téléphone, je perds tout, confie-t-elle. Parfois, elle se laisse aller dans le scroll infini d’Instagram, là où pullulent les vidéos du style chat qui danse la Macarena. Loin de l’idée que les écrans l’abrutissent, Christiane pense l’inverse: elle apprend de nouvelles choses en lisant l’actualité en ligne, et cela lui ouvre au monde.
Chez Chantal, 70 ans, le téléphone est une véritable porte d’entrée sur le monde. Aucune nostalgie du temps où les idées se partageaient au bistrot du coin ou autour d’un repas. Elle peut y passer près de 5 heures par jour: vivant seule, c’est une façon de savoir ce que les autres pensent. La Tarnaise, ancienne présidente d’une association d’artisans, épluche les informations 2.0, traque les fake news et relaie sur les réseaux sociaux l’actualité politique, sociale ou locale. La dernière en date? La plainte déposée par une association écologique contre la pub Intermarché du Loup-Garou. Avec 5 000 followers sur Facebook, Chantal est une petite influenceuse senior. Elle est autodidacte: elle a utilisé les réseaux pour développer la notoriété de nos boutiques et a appris parce que cela l’intéressait.

Dans la famille de Michel, on est connectés de mère en fils. Denise Mignot, 93 ans, surfe sur le site de La Redoute avec sa tablette et appelle ses petits-enfants via Messenger.
Son fils, âgé de 70 ans, a encore plus d’applications au compteur: il déclare avoir trois boîtes mail, aller sur les réseaux sociaux et utiliser tout le reste : Waze, la météo, les résultats sportifs, les paris en ligne, énumère-t-il. Michel revendique un usage raisonné du téléphone et reconnaît ses limites: il ne maîtrise pas tout, mais il parvient à poster et à lire l’essentiel.

Sur les dangers du numérique, les trois seniors font preuve d’une grande lucidité. Tous ayant gardé une vie active malgré la retraite, les écrans ne sont pas qu’une cage dorée dans laquelle ils se replient pour tuer l’ennui. Christiane pense que cela l’incite à sortir. Elle nuance: parfois elle ne sort pas de chez elle, mais grâce au téléphone, elle sait ce qui se passe dehors. C’est pratique.
En raison de leur fragilité face aux codes numériques, les seniors sont souvent perçus comme des proies par les escrocs. Avec sa modeste connaissance du sujet, Christiane réfléchit avant chaque clic pour éviter les liens frauduleux. Le mari de Christiane, lui, n’est pas à l’aise avec les réseaux et a voulu acheter une cabane de jardin sur un site étrange; sans avertissement, il a entré ses coordonnées bancaires et s’est fait arnaquer.
Chantal a aussi remarqué qu’elle était plus connectée que ses pairs: elle aide parfois des personnes âgées à créer un compte CESU+ pour leurs démarches, car elles étaient perdues.
Et quand on parle des dangers du numérique, Michel sourit: il est heureux de voir ces progrès et dit qu’il ne connaissait rien il y a 50 ans.
Pour eux, le numérique demeure une passerelle vers l’extérieur et un outil de lien social, tout en demandant une prudence face aux fraudes.