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Face à l’escalade de la crise des drogues toxiques en Colombie-Britannique, une transformation majeure s’opère dans le secteur de la santé. Sur Vancouver Island, une nouvelle vague d’infirmiers et d’étudiants redéfinit les pratiques de soins en intégrant pleinement les stratégies de « harm reduction » (réduction des risques) pour tenter d’endiguer une épidémie d’overdoses de plus en plus complexe.
Une nouvelle génération de soignants face à l’urgence
Alors que la crise des opiacés s’ancre durablement dans le paysage sanitaire, les professionnels de santé doivent s’adapter. Le 2 décembre dernier, des étudiants en soins infirmiers de quatrième année de l’Université de l’île de Vancouver (VIU) ont organisé un panel éducatif visant à briser la stigmatisation et à promouvoir une communauté plus sûre.
Sarah Lovegrove, professeure en sciences infirmières, témoigne d’un changement de paradigme notable. « Il y a encore six ans, aux urgences, très peu d’infirmiers pratiquaient ou comprenaient la réduction des risques », explique-t-elle. « Aujourd’hui, nous voyons arriver une nouvelle vague de soignants qui intègrent cette perspective. Ces futurs infirmiers, qui entreront en service au printemps, posséderont les connaissances nécessaires pour traiter les patients avec cette approche vitale. »
La « harm reduction » : au-delà de la consommation
Le Dr Jessica Wilder, cofondatrice de Doctors for Safer Drug Policy, insiste sur le fait que la harm reduction ne se limite pas aux substances illicites. Elle compare cette philosophie à des gestes du quotidien comme mettre de la crème solaire ou attacher sa ceinture de sécurité.
« En tant que médecin, je ne suis pas juge. Mon rôle n’est pas de décider si les comportements de mes patients sont bons ou mauvais, mais de les aider à rester en bonne santé selon leur propre définition », précise-t-elle.
Une toxicité imprévisible et mortelle
L’urgence de cette approche est dictée par l’évolution alarmante de la composition des drogues de rue. L’approvisionnement est passé de l’héroïne au fentanyl, puis à des analogues comme le para-fluorofentanyl, capable de provoquer une overdose avec seulement deux milligrames. Plus inquiétant encore, l’apparition des nitazènes, des opioïdes puissants et indétectables par les bandelettes de test classiques.
Le Dr Wilder souligne également la présence croissante de benzodiazépines dans les opioïdes. « Parfois, plus de 80 % de notre approvisionnement contient des benzodiazépines », alerte-t-elle. Cette contamination crée une dépendance physique sévère, où un arrêt brutal peut entraîner des tremblements, des convulsions, voire la mort, rendant le sevrage immédiat physiologiquement impossible sans encadrement médical.
L’analyse des substances d’un patient diligent de Nanaimo a révélé des mélanges terrifiants : une semaine, ses opioïdes contenaient 30 % de fentanyl et 6 % de médétomidine, un sédatif vétérinaire qui ne répond pas à la naloxone. Les semaines suivantes, le fentanyl avait disparu au profit du para-fluorofentanyl, illustrant l’extrême volatilité du marché noir.
Une réponse culturelle et politique
Edward Joe, éducateur en réduction des risques pour la First Nations Health Authority, rappelle que « l’opposé de l’addiction est la connexion ». Pour les communautés autochtones, la réduction des risques passe aussi par le retour aux sources : distribution de naloxone, mais aussi partage de nourriture traditionnelle et réintégration culturelle pour les personnes marginalisées.
De son côté, Corey Ranger, président de l’Association des infirmiers en réduction des risques, dénonce les choix politiques derrière cette hécatombe. « Depuis 2016, 18 000 personnes sont mortes en Colombie-Britannique à cause de drogues non régulées », rappelle-t-il. Il insiste sur le fait que ces décès sont évitables et ne relèvent pas de l’échec individuel, citant l’exemple d’un patient qui, après dix ans d’exclusion, a pu retrouver un logement et renouer avec sa famille grâce à un accès aux soins adapté et sans jugement.