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Avant d’aborder la question des négociations et du dialogue au Soudan, il faut d’abord définir ces notions et préciser les positions ainsi que les changements intervenus parmi les parties au conflit. Comprendre les dynamiques militaires et politiques est essentiel pour évaluer les perspectives des négociations Soudan et les chances d’un accord durable.
Le paysage politique
Le paysage politique soudanais s’est recomposé autour d’alliances aux objectifs souvent contradictoires. Deux pôles principaux émergent : la coalition « Taqaddum » (progrès) et l’alliance « Samoud » (résilience), chacun avec des capacités et des limites propres.
La coalition « Taqaddum », dans ses volets civil et militaire, a réussi pendant la guerre à se positionner comme acteur incontournable de tout scénario futur, qu’il soit supervisé internationalement ou façonné localement. Malgré les discours publics qui prétendent la rendre inaudible après le conflit, la réalité laisse penser qu’elle fera partie de toute solution de sortie de crise.
La scission apparente au sein de « Taqaddum » peut rester tactique, mais, selon l’évolution des négociations, elle pourrait se transformer en rupture réelle. Cette alliance est fondée sur un intérêt partagé et peut se disloquer pour les mêmes raisons qui l’ont réunie.
Dimension militaire et rôle de « Ta’sis »
La dimension militaire domine chez la plupart des composantes du bloc dit « Ta’sis », à l’exception de quelques individus qui représentent officiellement uniquement eux-mêmes. Cette réalité rend difficile l’intégration de ces acteurs dans les seuls formats d’un dialogue politique.
Ainsi, il est plus logique qu’ils soient impliqués prioritairement dans des tables de négociation à caractère militaire et sécuritaire plutôt que dans des dialogues purement civils.
La coalition « Samoud » et ses limites
L’alliance « Samoud » apparaît, après la scission, comme plus disposée à participer à un dialogue politique. Elle semble en mesure de siéger à des tables de négociation civiles.
Cependant sa vision reste étroite car elle dépend largement du soutien extérieur et n’a pas su intégrer les mutations internationales qui influencent l’équilibre des forces. Elle néglige aussi les changements internes qui peuvent modifier les positions des acteurs internationaux envers ce conflit.
Les islamistes : confrontation et repositionnement
Les islamistes au Soudan ne constituent pas un bloc homogène. Ils sont traversés par des dissensions idéologiques et organisationnelles qui influencent leurs positions face au dialogue politique et aux négociations militaires.
L’exclusion totale des islamistes du paysage politique n’est ni réaliste ni réalisable pour plusieurs raisons. Deux motifs essentiels expliquent leur maintien comme acteurs incontournables :
- Ils ont, aux yeux d’une large part de la population non politisée, expié certaines erreurs passées par leur engagement militaire et les sacrifices consentis sur le terrain.
- Le conflit a redéfini les perceptions collectives du bien, du mal et de la responsabilité, ce qui a atténué l’hostilité de segments importants de la révolution envers les islamistes, exception faite des partisans de « Taqaddum ».
Évolutions sur le terrain et en politique
Les équations changent quotidiennement, tant sur le plan militaire que politique, entre la « gouvernance légitime » à Port-Soudan et l’administration parallèle à Nyala. Ces évolutions modifient les marges de manœuvre des acteurs.
Les alliances régionales et internationales évoluent elles aussi, rendant la position de certains pays-clés déterminante pour la trajectoire des négociations Soudan.
Plusieurs questions essentielles se posent :
- Les ambitions anciennes ont-elles reculé ou de nouvelles visées sont-elles apparues depuis deux ans et demi de conflit ?
- Les capacités opérationnelles des milices et de leurs alliés restent-elles suffisantes pour atteindre ces objectifs ?
- Certains objectifs peuvent-ils être réalisés via l’armée et ses alliés islamistes plutôt que par les milices elles-mêmes ?
À ces interrogations s’ajoute l’effet de la volonté populaire, incarnée par la résistance armée locale, qui a bouleversé certains scénarios prévisibles et introduit un facteur imprévu aux conséquences majeures.
Scénarios possibles au sein de l’institution militaire
L’institution militaire elle‑même pourrait connaître des fractures si le mécontentement vis‑à‑vis de la gestion politique par la junte s’accroît. Des voix critiquent la mollesse des décisions, d’autres dénoncent une ligne dure imposée par des groupes islamistes.
Une scission interne réarrangerait la carte des alliances et ouvrirait des pistes de négociation inédites. Ce scénario, qu’il soit perçu positivement ou négativement, ne peut être ignoré dans toute analyse crédible du processus.
La nécessité du dialogue
Quelle que soit la durée du conflit, la négociation demeure l’issue logique et inévitable. Son calendrier et sa forme dépendront d’un ensemble de facteurs, notamment des acteurs non alignés politiquement, dont les intérêts influencent la perception des autres forces.
Le dialogue n’est pas un acte purement volontaire : il résulte d’un équilibre entre pressions et intérêts. La grande difficulté consistera à convaincre :
- Les partisans de « Taqaddum » de renoncer à l’exclusion totale qu’ils prônaient hier,
- Les bases des islamistes d’accepter un dialogue politique assorti d’un cadre de négociation militaire menant à une paix durable.
La paix naîtra de la conversion des intérêts en raison et en acceptation, et d’un travail préalable d’introspection et de règlement de contradictions internes avant d’envisager la réconciliation avec autrui.
Positions probables face aux négociations
Toute discussion sur les négociations Soudan doit partir d’une lecture claire des forces en présence et des marges de convergence possibles. Voici les positions plausibles des principaux acteurs :
L’armée
L’armée reste la force régulière qui tire sa légitimité du cadre constitutionnel et du soutien d’une large frange de la population. Toutefois, ses rangs présentent des divergences de vues sur le rapport au dialogue.
Un courant y voit la négociation comme un impératif pour sauver l’État, tandis qu’un autre la perçoit comme une capitulation ou une soumission aux pressions externes. Le défi consiste à forger un discours militaire-politique unifié qui présente le dialogue comme un devoir national, non comme une défaite.
Forces de soutien rapide (RSF)
Les Forces de soutien rapide agissent comme une autorité de fait dans les zones qu’elles contrôlent et recherchent reconnaissance politique et rôle dans toute solution future. Leur retour sur la scène politique exige des arrangements sécuritaires clairs.
La légitimité internationale et l’acceptation populaire restent des obstacles ; une réintégration conditionnée par une réconciliation encadrée, la justice transitionnelle et des mécanismes de responsabilisation est probable.
Le courant islamiste
Malgré les controverses liées à son rôle durant l’ancien régime, la participation militaire des islamistes a renforcé leur présence politique. Ils chercheront une participation conditionnée à la transition future, sans retour complet aux anciennes pratiques.
Leur posture pourrait se montrer flexible si leur rôle dans la phase post‑conflit est reconnu et s’ils obtiennent des garanties pour une place politique légitime.
La coalition « Taqaddum » et les composantes de la révolution
« Taqaddum » représente l’aile civile la mieux organisée de l’opposition, mais elle doit résoudre une double équation : convaincre ses militants d’accepter des négociations avec ceux qu’ils considèrent comme ennemis et s’assurer qu’elle ne sera pas exclue des accords de partage du pouvoir.
Sa position dépendra largement de l’évolution du discours international vis‑à‑vis des islamistes et des garanties offertes dans tout accord de transition.
Acteurs régionaux et internationaux
Les Émirats, l’Arabie saoudite, l’Égypte, le Tchad et le Soudan du Sud constituent des leviers régionaux clés dans le processus de médiation. Les États-Unis et l’Europe agissent plus pragmatiquement, cherchant à concilier cessation des hostilités et protection de leurs intérêts.
Ignorer la position d’un partenaire international majeur serait rendre tout projet de négociation théorique et sans perspective. La dimension extérieure reste donc centrale dans les négociations Soudan.
Voies possibles de négociation
Les trajectoires de sortie de crise peuvent se décliner selon plusieurs axes complémentaires, chacun répondant à des besoins spécifiques :
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Voie militaire‑sécuritaire :
- Un cessez‑le‑feu sous surveillance régionale avec une structure de monitoring conjointe.
- La restructuration des forces armées et l’intégration progressive des RSF selon un calendrier supervisé internationalement.
- La mise en place d’une justice transitionnelle via une commission nationale indépendante.
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Voie politique‑civile :
- Un dialogue national incluant islamistes, forces civiles, révolutionnaires et représentants des couches non politisées.
- La formation d’un gouvernement de transition technocratique et consensuel, avec mandat et durée définis.
- L’organisation d’élections générales au terme des garanties sécuritaires et institutionnelles.
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Voie humanitaire‑sociale :
- Une initiative nationale de réconciliation et de reconstruction intégrant la société civile et la diaspora soudanaise.
Conditions de réussite du dialogue
Plusieurs conditions sont indispensables pour que les négociations aboutissent à une paix durable :
- Reconnaissance mutuelle entre toutes les parties de la nécessité d’une solution politique et acceptation de l’absence d’un vainqueur absolu.
- Neutralisation des influences extérieures partisanes et orientation des intérêts internationaux vers la stabilité.
- Gestion des divergences au sein des institutions plutôt que leur externalisation au boulevard politique ou au champ de bataille.
- Inclusion des acteurs non affiliés politiquement afin d’élargir la base de la paix.
- Garanties de justice et de reddition des comptes pour prévenir la spirale des vengeances.
Mécanismes de mise en œuvre et garanties
Pour assurer la mise en œuvre des accords, plusieurs mécanismes doivent être envisagés :
- Une parrainage régional accepté par les parties prenantes.
- Des garanties internationales fermes et vérifiables.
- La création d’une haute commission nationale de suivi réunissant armée, RSF, forces politiques et société civile.
- Un calendrier contraignant pour clore la phase de transition et organiser des élections.
La guerre au Soudan ne s’achèvera ni par l’épuisement des belligérants ni seulement par des sanctions, mais par la construction d’un équilibre des intérêts menant à une table commune. Le projet de négociation attendu ne doit pas être conçu comme la victoire d’une partie sur une autre, mais comme le triomphe de l’État sur la désintégration.
Construire une véritable carte du dialogue implique d’admettre que toutes les parties, malgré leurs divergences, sont désormais prisonnières du conflit lui‑même. La paix n’est plus un simple impératif moral ; elle est une nécessité vitale pour la survie du pays.