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Un engouement grandissant pour les marathons au Vietnam attire les coureurs africains
À Ho Chi Minh-Ville, en décembre dernier, le coureur éthiopien Tesfaye Tsegaye Keress s’est faufilé habilement parmi près de 18 000 participants pour se positionner près de la ligne de départ du marathon international Techcombank de la ville, le plus grand du Vietnam.
Mesurant seulement 1,62 mètre et pesant environ 50 kg, Keress, 27 ans, a profité de sa petite taille pour se glisser aisément à travers la foule et s’assurer une place stratégique près du départ avant le coup de feu initial.
Quelques jours auparavant, il était arrivé à Ho Chi Minh-Ville, capitale commerciale du Vietnam, accompagné de son compatriote Dereje Alemu Miko, venu disputer le semi-marathon de 21 km, tandis que Keress courait le marathon complet de 42,1 km.
Dans une compétition dominée par des milliers de coureurs vietnamiens locaux, leur présence a rapidement suscité l’intérêt des médias vietnamiens, curieux de découvrir ces athlètes venus d’Afrique de l’Est.
Selon Keress, la passion pour la course n’était pas la seule motivation de leur déplacement. Le vainqueur du marathon recevait un prix en argent de 2 500 dollars, un enjeu important pour lui.
- Keress est marié et père de deux garçons.
- Il vit à Sendafa, dans la région Oromia en Éthiopie, à environ 38 km au nord-est d’Addis-Abeba.
- Sa famille exploite une ferme avicole et possède deux vaches laitières.
- L’objectif est d’utiliser les gains des courses pour agrandir leur ferme.
Pour l’emporter, Keress devait non seulement battre les meilleurs coureurs vietnamiens, mais aussi affronter Edwin Kiptoo, un Kenyan qui domine actuellement le circuit des marathons au Vietnam grâce à une série de victoires majeures.
Une popularité croissante des marathons au Vietnam
En Éthiopie, Keress est considéré comme un coureur moyen, bien que son record personnel de 2h23min50sec, établi lors d’un marathon en Thaïlande en 2023, soit respectable. Cette performance ne lui permettrait toutefois pas de se qualifier pour les compétitions d’élite, comme le marathon de Boston, où les temps doivent être inférieurs à 2h13.
Au Vietnam, en revanche, sa vitesse le place parmi les favoris dans un pays où la course à pied connaît un essor spectaculaire ces dernières années.
Cette popularité s’explique par plusieurs facteurs :
- La montée en puissance d’une classe moyenne urbaine soucieuse de sa forme physique.
- Le caractère social des marathons, devenus des événements très fréquentés depuis le milieu des années 2010.
- Un regain d’intérêt après la pandémie, avec une attention accrue portée à la santé.
En 2023, 41 marathons complets ont été organisés dans 27 provinces et villes, rassemblant environ 264 000 participants, soit dix courses de plus que l’année précédente.
Face à cet engouement, des sponsors privés ont investi dans ces événements, offrant des prix attractifs qui attirent désormais des coureurs d’élite venus d’Afrique de l’Est.
Depuis des décennies, les athlètes kenyans et éthiopiens dominent la scène mondiale de la course de fond, avec des légendes telles qu’Eliud Kipchoge, premier marathonien à courir sous les deux heures, et Haile Gebrselassie, détenteur de 27 records du monde.
Une présence africaine encadrée et prometteuse
Keress et Miko participent à ces marathons vietnamiens grâce à un promoteur thaïlandais, qui gère une équipe de coureurs et commercialise des compléments énergétiques pour sportifs. Ce lien offre une structure professionnelle essentielle pour ces athlètes originaires d’Afrique, souvent peu expérimentés à l’international.
La Thaïlande connaît également un développement similaire dans le marathon, ainsi qu’un marché croissant d’équipements et services pour coureurs. Les victoires comme celles de Keress et Miko apportent une forte visibilité aux marques qui les sponsorisent.
Ces partenariats permettent à des athlètes comme eux de bénéficier d’un soutien financier et logistique, indispensable pour concourir en Asie du Sud-Est.
Le parcours inspirant d’Edwin Kiptoo au Vietnam
Arrivé au Vietnam en décembre 2023 avec un budget très limité, Edwin Kiptoo a d’abord rencontré des difficultés pour se loger à Ho Chi Minh-Ville. Son budget initial de 150 000 dong (moins de 6 dollars) ne suffisait pas à trouver un hébergement économique.
Il a été aidé par Le Hoan, un coureur local rencontré la veille de la course. Leur rencontre s’est transformée en amitié, Le Hoan offrant l’hospitalité et le soutien nécessaires à Kiptoo.
Le lendemain, Kiptoo a remporté le marathon en devançant les meilleurs coureurs vietnamiens, empochant un prix de 2 500 dollars.
Depuis, Kiptoo est devenu une véritable star de la course au Vietnam :
- Il gagne en moyenne 1 000 dollars par semaine dans diverses courses.
- En octobre 2024, il a signé un contrat de sponsoring important avec la marque Do-Win Vietnam.
- Ce partenariat couvre ses frais de vie, d’inscription aux courses et lui garantit un visa professionnel pour courir au Vietnam.
Grâce à ce soutien, Kiptoo a accès à des infrastructures sportives de haut niveau, habituellement réservées aux athlètes vietnamiens de niveau national ou provincial.
Libéré des contraintes financières, il peut désormais se consacrer pleinement à sa préparation et domine la scène marathon au Vietnam.
Son succès lui a également conféré un statut de célébrité locale, avec une forte couverture médiatique et une large communauté de fans vietnamiens sur les réseaux sociaux.
Les défis et incertitudes du métier de coureur professionnel
Participer à un marathon est une épreuve physique et mentale intense, et les coureurs africains au Vietnam doivent affronter des défis multiples :
- En mars 2023, deux coureurs, Kemboi Ezekiel et Marta Tinsae Birehan, ont découvert que le prix annoncé – une voiture pour battre le record national – n’était plus valable.
- Lors de la même course, Marta Tinsae s’est effondrée alors qu’elle menait, à cause d’une boisson électrolytique mal supportée.
- En 2024, malgré sa victoire à Hanoi, Kiptoo a reçu un prix réduit de 200 dollars à cause d’une erreur d’inscription, au lieu des 2 100 dollars attendus.
Ces aléas illustrent la précarité et les risques encourus par ces athlètes, qui doivent souvent se contenter de suivre les règles sans se plaindre.
Lors du marathon de Ho Chi Minh-Ville en décembre, Kiptoo a remporté une nouvelle victoire tandis que Keress, épuisé, a terminé troisième et a reçu 1 000 dollars, un apport important pour son projet agricole. Son coéquipier Miko a gagné le semi-marathon, empochant 600 dollars.
Une carrière encadrée et une vie marquée par des sacrifices
Après les courses, Keress et Miko ont regagné leur hôtel avant de retourner en Thaïlande, où ils s’entraînent depuis six mois dans un camp près de Bangkok. Leur manager thaïlandais organise tous les aspects de leur carrière sportive dans la région, du voyage aux visas.
Cette prise en charge est essentielle pour des coureurs peu expérimentés à l’international. Ils considèrent leur manager comme une figure paternelle, mais la relation reste professionnelle, avec une forte pression pour obtenir des résultats.
Ils projettent de retourner en Éthiopie retrouver leurs familles, mais ignorent encore le montant net de leurs gains une fois déduits les frais de déplacement, hébergement et nourriture.
Le paiement des primes est parfois différé, accentuant l’incertitude financière.
Un avenir prometteur mais incertain
Malgré ces difficultés, la réputation du Vietnam comme terre d’opportunités pour les coureurs africains grandit en Afrique de l’Est.
Kiptoo, ancien enseignant au Kenya, a vu sa vie transformée grâce à ses succès dans les marathons vietnamiens. Après avoir souffert financièrement pendant la pandémie, il a pu soutenir sa famille et investir dans des biens immobiliers.
Il souligne que, malgré la popularité des films vietnamiens au Kenya, peu de gens connaissent réellement le pays, comme lui-même avant d’arriver.
Avec la croissance attendue des marathons au Vietnam, la destination continuera d’attirer des athlètes kenyans et éthiopiens, même si la route reste semée d’embûches :
- Des pays très éloignés géographiquement.
- Des courses comportant des risques imprévisibles.