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Tensions au Liban : Crise des réfugiés syriens et enjeux politiques
La situation politique au Liban s’est fortement tendue, tant au niveau officiel que partisan, concernant la présence syrienne dans le pays, suite à la chute du régime du président déchu Bachar al-Assad en décembre dernier.
Cette montée des tensions a atteint son paroxysme lorsque Gebran Bassil, chef du Courant patriotique libre, a accusé le gouvernement de laxisme face aux dangers liés à la présence prolongée des réfugiés, appelant à leur expulsion immédiate.
Bassil a qualifié les réfugiés syriens dans le pays d’« envahisseurs » et a déclaré le 26 avril : « Tout comme nous avons libéré le Liban de l’occupation syrienne une fois, nous le libérerons à nouveau de cette occupation déguisée en aide humanitaire », des propos qualifiés par des activistes d’« incitatifs à la haine ».
Alors que les responsables libanais estiment que la présence syrienne a pesé lourdement sur l’économie et exacerbé les crises sociales et économiques, plusieurs rapports internationaux contestent que le dossier des réfugiés soit la cause principale de ces difficultés.
Le cadre légal de la présence syrienne évolue
La question des réfugiés syriens a toujours été un sujet central du débat politique libanais. Selon des experts, la chute du régime Assad a intensifié la stigmatisation d’environ 1,5 million de réfugiés syriens.
Le ministre libanais des Affaires étrangères et des Libanais de l’étranger, Youssef Raji, a souligné que le Liban a supporté pendant plus d’une décennie un fardeau disproportionné. Les réfugiés représentent près d’un quart de la population, ce qui exerce une pression considérable sur l’économie, les infrastructures et les services publics.
Il a ajouté lors de la 9e conférence organisée par l’Union européenne pour soutenir l’avenir de la Syrie que « nous faisons face à une nouvelle réalité, où les Syriens eux-mêmes expriment le désir de revenir et de participer à la reconstruction de leur pays. Cette volonté est une opportunité unique pour faciliter leur retour ».
Selon un récent sondage du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), environ 35 500 Syriens en Liban sont prêts à retourner dans leur pays dans les 12 prochains mois, à condition de recevoir un soutien financier et logistique.
Le ministre libanais a affirmé qu’il n’existe plus de justification légale pour leur maintien au Liban, indiquant que « les circonstances ont changé. Il est désormais clair qu’ils ne fuient plus la guerre ni la persécution, mais qu’ils sont devenus des migrants économiques. Il n’est plus logique de financer des migrants économiques car le statut de réfugié est intrinsèquement lié aux conditions du déplacement forcé, qui, lorsqu’elles changent, exigent une révision de la politique d’accueil ».
Le chemin du retour vers la Syrie
Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés rapporte qu’environ 300 000 réfugiés syriens sont retournés dans leur pays depuis la chute du régime Assad, représentant près de 20 % du total officiel estimé à 1,5 million.
Bien que ce chiffre semble modeste, le HCR constate une tendance croissante et régulière au retour. La plupart des réfugiés interrogés expriment un désir de retour, mais restent dans l’attente de clarifications sur plusieurs questions internes en Syrie.
Après la chute du régime le 8 décembre dernier, le président syrien Ahmed Charra s’est engagé à permettre le retour de la majorité des réfugiés syriens dans un délai de deux ans. La Syrie doit encore se relever et relancer son économie, gravement affectée par la guerre qui a causé des pertes estimées à environ 700 milliards de dollars selon des sources internationales.
Le président Charra a insisté dans des interviews sur la nécessité de créer un environnement sécuritaire favorable, accompagné d’un soutien économique et politique, ainsi que d’une coordination continue avec la communauté internationale pour assurer la durabilité des solutions politiques et économiques à venir.
Contrairement à la Turquie et à la Jordanie, qui ont accueilli environ 5 millions de réfugiés syriens, le Liban n’a pas pu élaborer de stratégie gouvernementale cohérente pour gérer durablement la crise et ses conséquences.
Selon le ministère de l’Intérieur turc, près de 176 000 réfugiés sont retournés en Syrie depuis la chute d’Assad jusqu’à mi-avril, dans le cadre d’un programme de retour volontaire et sécurisé, portant à environ un million le nombre total de départs depuis 2017.
En Jordanie, le HCR indique que 49 000 réfugiés sont revenus sur la même période, dont 53 % en familles complètes et 47 % de manière partielle.
Pressions diverses et réponses populistes
Le militant des droits humains syrien Tarik Halabi, basé à Beyrouth, estime que la plupart des mesures visant les Syriens ont été marquées par une approche populiste et réactive, sous la pression de forces politiques qui continuent de considérer la question des réfugiés sous un prisme incitatif à la peur.
En février, des députés libanais ont soumis un projet de loi urgent interdisant aux banques libanaises, filiales étrangères, sociétés de transfert d’argent et plateformes de paiement électronique de recevoir, transférer ou verser des fonds aux réfugiés syriens, quelle que soit la devise ou la provenance, incluant les aides du HCR et des ONG.
Ces dix dernières années, le Liban a reçu des aides internationales visant à renforcer sa capacité de réponse, la plus récente étant une enveloppe d’un milliard d’euros accordée par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen l’an passé.
Cette aide vise à soutenir la stabilité libanaise, renforcer les services essentiels comme l’éducation, la santé et la protection sociale, tout en appuyant des réformes économiques, financières et bancaires urgentes jusqu’en 2027.
La commissaire européenne pour la Méditerranée, Dubravka Šuica, a conditionné le versement final de 500 millions d’euros à la mise en œuvre de réformes structurelles, notamment dans le secteur bancaire et à un accord avec le Fonds monétaire international.
Le Groupe de la Banque mondiale a quant à lui rejeté l’idée que la crise économique libanaise soit inévitable, la qualifiant plutôt de résultat de mauvaises politiques cumulées et d’une gestion déficiente.
Il a souligné que la faiblesse des institutions publiques, l’échec des réformes économiques et la dégradation des services essentiels (électricité, eau, gestion des déchets) sont attribuables à des choix financiers et monétaires erronés des autorités, avec des impacts négatifs sur la société.
Une crise de gestion du dossier
L’économiste Walid Al-Koutali critique la corrélation faite entre la présence syrienne et la crise économique et financière que traverse le Liban depuis 2018. Selon lui, le débat sur la présence syrienne est souvent instrumentalisé par des motivations politiques et des luttes partisanes, culminant durant la longue période où le Liban est resté sans président.
Il qualifie la crise des réfugiés d’« crise de gestion », dénonçant la manière dont elle a été traitée, qui va à l’encontre des intérêts économiques libanais, notamment la nécessité urgente d’attirer les investissements syriens et de bénéficier d’une main-d’œuvre syrienne qualifiée et bien formée.
Dans un entretien, Al-Koutali souligne que le manque de planification nationale globale est occulté dans les discussions, qui se focalisent uniquement sur la peur d’une implantation permanente, notamment depuis la chute du régime Assad, alors que le retour en Syrie devient envisageable et que la majorité des familles se préparent à rentrer dès que la situation humanitaire et les services seront stabilisés.
Il ajoute que les mesures restrictives imposées aux réfugiés, telles que l’interdiction d’emploi, de logement ou d’accueil pour ceux en situation irrégulière, l’impossibilité pour les inscrits au HCR d’exercer des emplois hors des secteurs autorisés, la fermeture des entreprises syriennes non conformes, ainsi que des mesures sécuritaires, ont été utilisées pour exercer une pression visant un retour forcé.
Dans ce contexte, l’avocate Ghida Frangieh, responsable du contentieux stratégique à l’Organisation de la pensée juridique pour la recherche et la défense, souligne que le discours incitatif contre les réfugiés syriens, appelant à leur départ immédiat, est souvent fondé sur des faits inexacts.
Elle précise que l’organisation, basée à Beyrouth, réclame leur retour volontaire, sécurisé et digne, en respectant le principe de non-refoulement, en raison de l’instabilité persistante en Syrie.
Les réfugiés syriens au Liban ont besoin d’un délai de plusieurs mois, voire plus, comme dans d’autres pays, pour organiser leur départ volontaire et progressif.
Trois craintes majeures
Un rapport du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés a examiné la perception des Syriens sur la période suivant la chute du régime Assad. Il révèle trois inquiétudes principales qui freinent leur décision de retour :
- La stabilité politique dans leur région d’origine.
- Les conditions sécuritaires dans leurs zones natales.
- L’accès aux services essentiels.
Roger Asfar, chercheur à la plateforme « Guide Civil » du Centre libanais des sciences sociales appliquées, confirme que la majorité des Syriens, réfugiés ou non, souhaitent retourner en Syrie une fois la sécurité rétablie.
Dans un article publié sur la plateforme, il rappelle que la main-d’œuvre syrienne répondait à un besoin chronique au Liban, qui pourrait se renforcer avec les financements nécessaires à la reconstruction post-conflit libanais récent. Ce phénomène s’apparente au modèle de main-d’œuvre observé au Liban durant les décennies précédentes.