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Au sud extrême d’Israël, près d’Eilat et des frontières avec l’Égypte et la Jordanie, se trouve la base aérienne d’Ovda, unique site autorisé à manipuler des cargaisons militaires dangereuses et des explosifs.
Depuis 2016, des avions soviétiques Iliouchine Il-76 opérant pour la compagnie azerbaïdjanaise SilkWay effectuent des rotations régulières vers Ovda : 92 vols entre 2016 et 2023.
Ces liaisons servent principalement à transporter vers Bakou des matériels israéliens sensibles, établissant ainsi une relation matérielle et stratégique croissante entre Israël et l’Azerbaïdjan.
Flux d’armements et dépendances réciproques
Les livraisons israéliennes à l’Azerbaïdjan couvrent un large spectre d’équipements militaires. Parmi les matériels mentionnés figurent :
- drones de reconnaissance et d’attaque (Heron, Hermes) ayant joué un rôle clé en 2020 pendant le conflit du Haut-Karabakh ;
- systèmes de défense antiaérienne comme les missiles « Barak » ;
- missiles balistiques tactiques LORA et autres composants d’industries militaires israéliennes.
Israël fournirait à Bakou plus de 70 % de ses besoins militaires, concurrençant ainsi la place longtemps occupée par la Turquie.
En contrepartie, depuis le milieu des années 1990, l’Azerbaïdjan approvisionne Israël en pétrole — environ la moitié des besoins israéliens — tissant une relation « pétrole contre sécurité ».
Bakou et Tel-Aviv : une alliance stratégique au nord
Israël a depuis longtemps cherché des alliés au nord du monde arabe pour un encerclement stratégique. Après des rapprochements successifs — avec l’Iran avant 1979, puis avec la Turquie à certaines périodes — l’État hébreu s’est progressivement tourné vers les anciens États soviétiques.
L’Azerbaïdjan, État constitué après l’effondrement de l’URSS, a combiné son orientation pro‑turque (liens ethniques et linguistiques forts) avec une ouverture vers Tel‑Aviv, motivée par des intérêts de sécurité et de modernisation de ses forces.
Depuis les années 1990, cette relation s’est structurée autour d’un schéma élémentaire :
- Bakou cherche des partenaires solides pour contrebalancer la pression russe et la menace iranienne ;
- Tel‑Aviv obtient un accès stratégique au Caucase, permettant une surveillance et des opérations proches de l’Iran.
Bakou et Téhéran : une fracture profonde
Les relations entre l’Azerbaïdjan et l’Iran se sont détériorées avec le temps, exacerbées par des accusations mutuelles d’ingérence et de soutien à des mouvements hostiles.
Téhéran a été accusé par Bakou de soutenir des groupes islamistes et d’encourager des actions subversives à l’intérieur de l’Azerbaïdjan. Des incidents graves ont attisé la crise :
- en janvier 2023, une attaque contre l’ambassade d’Azerbaïdjan à Téhéran a causé la mort d’un garde et plusieurs blessés, provoquant la fermeture temporaire de l’ambassade azerbaïdjanaise ;
- des survols et frappes attribuées à Israël ont aggravé la tension régionale, tandis que Bakou multipliait les rencontres militaires avec Tel‑Aviv.
Ces événements ont porté la rivalité à un niveau où la coopération militaire israélienne est perçue par Téhéran comme une menace directe à sa sécurité.
Du « déluge » au projet de corridor dit « Trump »
Le contexte s’est complexifié après les attaques d’octobre 2023 et la reprise de l’administration Trump, qui a relancé l’idée d’un corridor reliant la Nakhitchevan au reste de l’Azerbaïdjan via l’Arménie (le projet dit du corridor de Zangazour ou « TRIPP »).
Washington voit dans ce projet une manière de contenir l’influence iranienne et de réorienter l’Asie centrale, tandis que Téhéran l’a qualifié de « ligne rouge ».
Parallèlement, les liens énergétiques et économiques Bakou‑Tel‑Aviv se sont approfondis :
- octobre 2024 : SOCAR, la compagnie pétrolière d’État azerbaïdjanaise, acquiert 10 % du champ gazier Tamar au large d’Israël ;
- mars 2025 : SOCAR signe un accord d’exploration avec la société israélienne Neomed et BP au large du nord d’Israël, renforçant la présence azerbaïdjanaise en Méditerranée orientale ;
- le Premier ministre israélien a proposé en mars 2025 un partenariat trilatéral Bakou‑Tel‑Aviv‑Washington, cherchant à inscrire l’alliance sous la protection américaine.
Enfin, des spéculations portent sur le rôle d’infrastructures et d’acteurs azerbaïdjanais (notamment SilkWay) dans la circulation d’agents et d’informations ayant facilité certaines opérations régionales.
Entre Ankara et Tel‑Aviv : la place délicate de la Turquie
La Turquie demeure le partenaire historique et culturel le plus proche de l’Azerbaïdjan. Cependant, l’essor du partenariat azerbaïdjano‑israélien a commencé à susciter des frictions.
Officiellement, Ankara n’a pas condamné ouvertement l’axe Bakou‑Tel‑Aviv, mais des signes de malaise apparaissent :
- juin 2024 : lors d’une rencontre à Ankara, le président turc aurait encouragé son homologue azerbaïdjanais à reconnaître Jérusalem‑Est comme capitale palestinienne, marque de pression pour tempérer le soutien exclusif à Israël ;
- le positionnement énergétique et militaire de Bakou, désormais moins tributaire d’Ankara, risque d’atténuer l’influence turque en Azerbaïdjan.
Au final, la coopération Israël‑Azerbaïdjan creuse un nouvel équilibre régional, où l’enjeu énergétique se conjugue à des enjeux militaires et de renseignement, façonnant des rivalités et des dépendances aux conséquences durables pour la région du Caucase et le Moyen‑Orient.