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Vers une résolution du conflit chypriote ? Les défis des négociations à Genève
Les regards se tournent vers la capitale suisse Genève, où une nouvelle série de discussions sur l’avenir de l’île Chypre se tiendra les 17 et 18 mars, dans un contexte de profondes dissensions qui rendent toute avancée diplomatique ardue.
Après des décennies de blocage, les Chypriotes grecs et turcs font face à un nouvel examen, convoqués par le secrétaire général des Nations Unies Antonio Guterres, dans une tentative de réparer les relations entre les deux parties.
Avec un contexte régional de plus en plus complexe et des tensions croissantes en Méditerranée orientale, les options semblent limitées, soulevant des questions sur les chances de succès cette fois-ci et sur ce que les Nations Unies peuvent apporter pour rapprocher les points de vue.
Quelle est l’importance de ces négociations ?
La question chypriote ressort après l’échec de la dernière ronde de négociations en Suisse en 2017, qui s’est effondrée à cause de désaccords sur les garanties de sécurité et la présence des troupes turques sur l’île. Au cours des dernières décennies, le dossier a connu plus de 15 rondes de négociations majeures, sans déboucher sur une solution durable, chaque tentative se heurtant à des obstacles politiques profonds.
Actuellement, les discussions se tiennent dans un contexte régional changeant, où les alliances géopolitiques compliquent la crise. Alors que Chypre grecque renforce ses relations militaires avec les États-Unis, la France et Israël, les craintes d’exclusion de la Turquie et des Chypriotes turcs des arrangements régionaux augmentent.
La spécialiste en politique étrangère Zeynep Gizem Ozpinar a déclaré à Al Jazeera que la réunion « n’est pas un véritable début de négociations complètes, mais une simple tentative d’explorer s’il existe un terrain d’entente pour le dialogue », soulignant que les Nations Unies cherchent seulement à relancer le dossier sans outils de pression réels, rendant les chances de progrès tangible presque nulles.
Quelles sont les revendications des principales parties ?
Les positions des parties dans le conflit chypriote varient tellement qu’atteindre un accord semble presque impossible. Alors que les Chypriotes grecs demandent la réunification de l’île sous un système fédéral garantissant leur contrôle politique, les Chypriotes turcs insistent sur le fait que la seule solution possible est la reconnaissance de la République turque de Chypre du Nord en tant qu’État souverain égal, soutenue de manière inconditionnelle par Ankara.
La Turquie estime que le modèle fédéral n’est plus viable, surtout après l’échec des précédentes négociations. D’un autre côté, la Grèce et les Chypriotes grecs refusent tout scénario reconnaissant la République turque de Chypre du Nord, considérant que cette proposition « compromet l’unité de l’île et contredit les résolutions des Nations Unies ».
Dans ce contexte, le ministre des Affaires étrangères de la République turque de Chypre du Nord, Tahsin Ertugruloglu, a déclaré à Reuters que la réunion à Genève ne représente pas une opportunité de reprendre les négociations sous l’ancien format, mais constitue une occasion de réaffirmer la position de son pays selon laquelle la seule solution possible est la reconnaissance de deux États indépendants et souverains.
Il a souligné que l’insistance des Chypriotes grecs sur la renégociation selon les conditions de 2017 est « irréaliste ».
Quels sont les principaux obstacles à une solution ?
Le politologue Murad Toral estime que toute voie de négociation concernant Chypre se heurte à des obstacles structurels et politiques profonds qui rendent toute solution durable presque impossible. Parmi ces obstacles, on trouve :
- Le manque de reconnaissance mutuelle, les Chypriotes grecs refusant de reconnaître la souveraineté des Chypriotes turcs, tandis que la Turquie considère que la solution fédérale n’est plus une option viable.
- Les interventions internationales et les alliances militaires, Chypre grecque ayant renforcé sa coopération militaire avec Israël, la France et les États-Unis, en plus de la levée de l’interdiction américaine sur l’exportation d’armes vers elle, modifiant l’équilibre sécuritaire de la région et suscitant des inquiétudes à Ankara.
- La lutte pour les ressources énergétiques, les accords de Chypre grecque avec l’Égypte, la Grèce et Israël en matière de gaz, et l’exclusion des Chypriotes turcs de ces arrangements intensifient les tensions régionales.
Torral ajoute que le problème chypriote n’est plus confiné à l’île, mais fait partie d’un conflit géopolitique régional, où les puissances internationales jouent un rôle dans l’approfondissement de la division au lieu de trouver des compromis.
Que peut apporter les Nations Unies ?
Malgré les efforts continus des Nations Unies, elles n’ont pas réussi à imposer un règlement durable, leur rôle se limitant à la gestion du conflit sans outils de pression efficaces.
Ozpinara estime que le rôle de l’organisation est resté limité car il n’a pas abordé le cœur du problème, qui est la reconnaissance mutuelle entre les deux parties. Elle ajoute que toute tentative de relancer les négociations sans traiter cette problématique conduira à maintenir la situation telle quelle, sans réaliser de véritable avancée.
Il est à noter que des rapports de presse indiquent que la réunion a été demandée par la Grèce, le leader de l’administration chypriote grecque, Nikos Christodoulides, soutenu par des partis radicaux, cherchant à briser la stagnation politique, dans une démarche qui semble plus proche d’une tentative de marquer un point diplomatique qu’un véritable mouvement vers un règlement.
Quels sont les scénarios possibles ?
Ozpinara confirme que la réunion « n’est pas un véritable début de négociations complètes, mais une simple tentative d’explorer s’il existe une marge pour le dialogue », mais les indicateurs actuels ne reflètent aucune disposition des parties à faire des concessions.
Elle anticipe que la réunion ne produira aucune avancée réelle, mais se terminera par l’un des scénarios suivants :
- Continuation du statu quo : c’est le scénario le plus probable, où chaque partie maintient ses revendications sans changement, laissant la situation en l’état.
- Escalade diplomatique et tensions régionales : si les discussions échouent complètement, les tensions entre la Turquie et la Grèce pourraient s’intensifier, poussant Ankara à prendre des mesures plus drastiques en Méditerranée orientale.
- Mesures limitées sans règlement global : les discussions pourraient aboutir à des accords partiels, comme l’ouverture de nouveaux points de passage ou des arrangements économiques, sans mener à une solution politique.
Quelles sont les conséquences régionales de ces discussions ?
Les discussions à Genève dépassent le cadre chypriote, ayant un impact direct sur les équilibres en Méditerranée orientale. Toral estime que cette ronde « ne changera pas le paysage, mais renforcera les divisions, surtout avec la poursuite des mouvements militaires de Chypre grecque et ses alliances avec Israël, la France et les États-Unis, que Ankara considère comme des tentatives de réduire son influence. »
Il ajoute que l’exclusion de la Turquie et de la République turque de Chypre du Nord des arrangements énergétiques régionaux approfondit les tensions, ce qui pourrait pousser Ankara à prendre des mesures plus drastiques, que ce soit par de nouveaux accords maritimes ou des actions en Méditerranée.