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Le virus de l’hépatite E du rat, appartenant au genre Orthohepevirus C, représente une menace émergente pour la santé humaine. Découvert chez diverses espèces de rats à travers le monde, ce virus a démontré sa capacité à infecter l’homme, provoquant des cas d’hépatite aiguë parfois graves, notamment chez des patients immunodéprimés.
Le virus de l’hépatite E et ses différentes espèces
Le virus de l’hépatite E fait partie de la famille des Hepeviridae et du genre Orthohepevirus, qui se divise en plusieurs espèces : A, B, C et D. Habituellement, les infections humaines sont causées par des virus de l’espèce Orthohepevirus A (Paslahepevirus balayani), qui comprend huit génotypes. Cette forme affecte plus de 20 millions de personnes dans le monde et entraîne jusqu’à 70 000 décès annuellement.
En revanche, les rats hébergent une autre espèce, Orthohepevirus C, principalement le génotype C1, également appelé virus de l’hépatite E du rat (VHE-rat ou rVHE). Découvert récemment, ce virus est présent mondialement chez plusieurs espèces de rongeurs.
Transmission et impact sur la santé humaine
Depuis 2018, il est établi que le rVHE peut franchir la barrière interespèces pour infecter l’homme. Les infections observées varient d’hépatites aiguës spontanément résolutives à des cas sévères d’insuffisance hépatique aiguë mortelle, notamment chez des sujets immunodéprimés. Ce virus constitue ainsi une cause émergente d’hépatite aiguë à l’échelle mondiale.
Le faible nombre de cas recensés pourrait s’expliquer par l’absence de méthodes diagnostiques moléculaires standardisées et suffisamment sensibles, créant une incertitude sur les cas cliniques passés.
Un algorithme moléculaire innovant pour le diagnostic
Une équipe dirigée par Caballero-Gómez a développé un algorithme diagnostique moléculaire performant pour détecter le rVHE. Cette méthode a été appliquée à différentes cohortes de rongeurs ainsi qu’à 562 patients souffrant d’hépatite aiguë d’origine indéterminée.
Les résultats de cette étude ont révélé que 17,5 % des 103 rongeurs testés étaient porteurs du rVHE. Chez les patients, 51 cas positifs ont été détectés par RT-PCR, avec 8 confirmations par séquençage, soit une fréquence de 1,4 %.
Parmi ces patients, quatre ont présenté une hépatite sévère requérant une hospitalisation, dont un est décédé. Des manifestations extrahépatiques telles qu’insuffisance rénale aiguë et pancréatite aiguë ont également été rapportées.
Une épidémiologie encore difficile à cerner
L’identification du rVHE comme problème de santé publique a été rendue possible grâce à cette approche moléculaire intégrée dans une démarche One Health. Le virus a pu être détecté chez les rats puis confirmé chez l’homme.
Les contaminations humaines résultent probablement d’un contact direct ou indirect avec des rongeurs infectés. Des cas ont été signalés à Hong Kong, au Canada et en France, suggérant l’existence de cycles régionaux de transmission mais aussi une origine géographique parfois incertaine.
La répartition exacte du rVHE chez l’homme reste méconnue. Des analyses phylogéographiques plus précises sont nécessaires pour mieux comprendre les sources et modes de transmission. La fréquence détectée de ce virus chez l’homme suggère une transmission plus fréquente qu’attendue.
Le virus humain présente une forte proximité génétique avec des souches détectées chez des rats espagnols, avec une identité nucléotidique de 82 à 99,5 %.
Similitudes cliniques entre virus de l’hépatite E classique et celui du rat
Les cas humains d’infection par le rVHE montrent un tableau clinique comparable à celui du virus de l’hépatite E classique. En Asie, les évolutions hépatique et la mortalité sont similaires entre les deux virus.
Cependant, ces observations ne sont pas forcément extrapolables à d’autres régions, en raison des différences épidémiologiques entre les génotypes. Des recherches complémentaires sont essentielles pour comprendre les possibles différences cliniques en Europe.
Les facteurs de risque restent mal définis. Si le rat est confirmé comme un réservoir et vecteur zoonotique, les voies d’exposition – contact direct, contamination alimentaire ou ingestion d’excréments – nécessitent des investigations approfondies. Par ailleurs, la présence du rVHE détectée chez des porcs espagnols suggère une possible diversité des réservoirs.
Limites et enjeux du diagnostic par RT-PCR
Plusieurs limites sont soulignées concernant la nouvelle méthode RT-PCR utilisée. L’emploi d’un seuil d’ALAT abaissé à 3 fois la normale (au lieu de 10 fois habituellement) pourrait inclure des patients avec d’autres pathologies chroniques du foie, telles que la MASLD ou une maladie hépatique alcoolique.
De plus, la gravité clinique observée chez certains patients (4 sur 8 hospitalisés) contraste avec les données habituelles sur les formes aiguës ou chroniques du VHE classique. L’exclusion d’autres causes d’hépatite, comme les hépatites auto-immunes ou médicamenteuses, n’est pas clairement documentée. L’éventuelle réalisation de biopsies hépatiques n’est pas précisée.
Malgré l’existence de tests automatisés et d’une norme internationale définie par l’OMS, beaucoup de laboratoires utilisent encore des techniques internes peu sensibles. Les informations sur la reproductibilité de la RT-PCR du rVHE sont limitées, notamment sur des échantillons multiples.
Une évaluation du test dans des groupes témoins, sans hépatite ou avec hépatite d’origine connue, serait utile pour confirmer la fiabilité. Par ailleurs, le suivi microbiologique à moyen et long terme, notamment chez des patients immunodéprimés ou cancéreux, reste à développer.
Ces observations appellent à une amélioration des protocoles de séquençage, notamment par des techniques de nouvelle génération (NGS), afin d’obtenir des données génomiques complètes et précises sur le rVHE.
Des difficultés dans la sérologie anti-rVHE
La détection d’anticorps spécifiques dans les infections humaines par le rVHE demeure complexe. Le timing du prélèvement par rapport à l’infection influe sur la charge virale détectée, souvent faible au moment du diagnostic.
Classiquement, la charge virale des Paslahepevirus atteint un pic avant les premiers symptômes hépatitiques. Il est donc possible que la charge ait diminué lorsque les échantillons ont été prélevés, alors même que la réponse immunitaire était déjà engagée.
La sérologie, testant IgM et IgG, offre des résultats peu concluants, compliqués par une possible réactivité croisée entre anticorps anti-Paslahepevirus et anti-Rocahepevirus, générant des interprétations ambiguës.
Perspectives et enjeux pour la santé publique
Le virus de l’hépatite E du rat est une cause sous-diagnostiquée d’hépatite aiguë chez l’homme. Son identification comme agent zoonotique émergent impose de le considérer en diagnostic différentiel devant toute hépatite indéterminée.
Le développement d’outils moléculaires sensibles a permis d’identifier ce virus chez des rongeurs réservoirs et des patients, mettant en lumière une diversité génétique importante et des liens phylogénétiques étroits.
Pour améliorer la précision diagnostique et comprendre l’épidémiologie de cette nouvelle zoonose, il est nécessaire d’optimiser les techniques de séquençage, de standardiser les méthodes de diagnostic moléculaire et d’étendre les études géographiques, notamment en Europe.