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Dans le cadre de son émission sur Inter, Charles Pépin répond aux interrogations de ses auditeurs. Aujourd’hui, il s’intéresse à la question de Kiara : « Pourquoi dit-on qu’il faut tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler ? »
Une réflexion nécessaire avant de s’exprimer
Je vais vous le dire franchement, je trouve cette idée très dangereuse. Qu’il faille réfléchir avant de parler, on est tous d’accord. Quoique… ! Les choses ne sont en fait pas si simples : on réfléchit aussi très bien en parlant !
Les dangers d’un conseil bien intentionné
Le problème de cette phrase – « tourne sept fois ta langue dans ta bouche avant de parler » – c’est qu’elle est bien pratique pour faire taire un ado au moment où il s’apprête à se lancer, pour faire taire un élève en classe de philo, ou encore un collaborateur en réunion. Elle trahit aussi une forme de perfectionnisme dont nous avons déjà montré les ravages lors d’une précédente question philo.
Le perfectionnisme et le droit à l’erreur
Oui, c’est ça. Et l’idée d’une pensée pure et parfaite qui précèderait le langage est d’autant plus gênante que, dans le cerveau, les réseaux neuronaux impliqués dans le langage et ceux liés à la pensée sont très rigoureusement entrecroisés.
Nous le constatons tous les jours : c’est en parlant que l’on précise sa pensée, que l’on trouve de nouvelles idées, et que l’on échange avec les autres.
L’importance de la parole pour la pensée
On retrouve ici une idée de Rousseau : « il faut parler pour avoir des idées générales ». Hegel partage également cette conception : « c’est dans le mot que la pensée fait sens ». Cela signifie que notre pensée a besoin des mots pour s’exprimer pleinement.
Hegel critique l’idée d’une pensée pure et parfaite, affirmant qu’il existe bien une pensée d’avant les mots, mais qu’elle n’est pas claire et précise. C’est le fait de parler qui permet d’éclaircir cette pensée.
Parler pour penser
On a besoin de parler pour penser, et parfois, même pour savoir ce que l’on pense. Parler tout seul peut être bénéfique pour clarifier ses idées. Ce besoin de s’exprimer est essentiel pour faire advenir le sens.
Au lieu de tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler, ce qui n’aurait pour effet que de faire monter l’angoisse, je propose de nous jeter dans l’aventure de la prise de parole.
Accepter l’incertitude de la prise de parole
Il est important de ne pas attendre d’être sûrs de notre pensée pour l’énoncer. L’épreuve de la parole est nécessaire pour découvrir ce que nous pensons réellement. Nous avons le droit de nous tromper, de nous rectifier, de rebondir, et même d’improviser.
Logos, en grec, signifie à la fois raison et discours, et Aristote voyait dans le fait de parler ensemble sur l’agora une manière de développer à la fois notre raison et notre langage.
Conclusion
Il est donc essentiel de s’engager dans l’aventure, belle et risquée, de la prise de parole. On prend la parole comme on prend un risque. C’est peut-être cela, l’expression.