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Le phénomène du coucher de soleil, tourisme, réseaux sociaux, Espagne s’est transformé en une pratique collective : observation, photographie et partage sur les réseaux sociaux ont fait de la fin du jour un rendez‑vous quasi quotidien, touristique et social en Espagne.
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Les atardeceres ont toujours eu une charge esthétique et symbolique. Julio Verne évoquait déjà en 1882, dans son roman El rayo verde, l’éclair vert parfois visible juste avant la disparition du soleil : un phénomène fugitif qui, pour beaucoup, vaut toutes les tentatives. Aujourd’hui, les réseaux sociaux ont amplifié cet intérêt : la mise en scène et le partage ont rendu les couchers de soleil «instagrameables», transformant un spectacle quotidien en objet de désir collectif.
Outre l’aspect esthétique, les bienfaits sont scientifiquement reconnus : voir l’aube ou le crépuscule aide à réguler les rythmes circadiens, améliore le repos et apaise le système nerveux. Mais l’ampleur actuelle du phénomène dépasse ces effets sur la santé et bascule souvent vers une consommation touristique et algorithmique de l’expérience.
En Espagne, les points géographiques sont devenus des attractions précises : le premier lever de soleil national a lieu à Es Castell, à Minorque (îles Baléares), tandis que le Cabo Touriñán, à Muxía (La Corogne), se positionne comme le dernier point d’Europe continentale à voir les derniers rayons du soleil durant deux périodes de l’année, «desde el 18 de agosto al 19 de septiembre, y del 24 de marzo al 23 de abril».
Découverte astronomique et stratégies touristiques à Cabo Touriñán et Es Vedrà
La raison astronomique de ces observations a été expliquée par Jorge Mira, professeur titulaire au département de physique appliquée de l’Université de Saint‑Jacques‑de‑Compostelle, qui a mis en évidence la variation d’orientation de la Terre au cours de l’année. Il résume le phénomène ainsi :
«Me di cuenta de que el planeta Tierra, en su órbita alrededor del sol, va cambiando su orientación relativa con respecto a éste»,
et ajoute que cette inclinaison fait que la ligne séparant le jour et la nuit ne va pas toujours du nord au sud mais s’incline selon les saisons, produisant ainsi des points géographiques privilégiés pour être les derniers ou les premiers éclairés.
Ce constat a eu des retombées directes sur le tourisme local. Après la découverte en 2008, la Costa da Morte a axé sa stratégie touristique sur cette singularité. «De hecho, la campaña de turismo de Galicia de 2023 en Fitur se basó en esto», rappelle Mira, qui compare cette dynamique à celle des zones méditerranéennes et des Baléares, où l’observation des couchers de soleil est exploitée depuis longtemps avec une fréquentation massive.
La pression touristique peut aller jusqu’à provoquer des fermetures : en mars de cette année, le mirador d’Es Vedrà, à Ibiza, a dû fermer face à la saturation et au mécontentement des riverains, provoquée notamment par des rassemblements bruyants et des scènes improvisées avec DJ.
Des acteurs privés confirment la transformation du coucher de soleil en motif principal de visite. Une entreprise de réservation d’activités, Civitatis, a indiqué que, «solo en lo que va de 2025 se ha registrado un aumento del 8% en las reservas de actividades al atardecer en Es Vedrá en comparación con el año anterior», ce qui montre combien le crépuscule est devenu une raison à part entière pour voyager.
Les opérateurs adaptent leurs offres : sorties en bateau fréquentes dont celles coïncidant avec la mise du soleil sont les plus demandées, souvent complètes bien avant les autres horaires, selon les professionnels. Ils cherchent un équilibre entre expérience touristique et préservation du site.
Perception, usages et effets psychologiques
Plusieurs spécialistes analysent pourquoi ce rituel séduit autant. José Antonio Corraliza, professeur de psychologie environnementale à l’Université autonome de Madrid, identifie trois composantes qui fondent les «experiencias cumbre» : le bien‑être mental, physique et social que procure la contemplation du coucher de soleil. Ces dimensions expliquent en partie la persistance et la puissance émotionnelle de l’événement.
La sociologie de la consommation et des réseaux entre aussi en jeu. La sociologue Dafne Muntanyola alerte sur la manière dont la logique algorithmique accélère et standardise la consommation de ces expériences, transformant la contemplation en une course au cliché et au classement social. Les notions de «golden hour» et d’esthétique accessible expliquent pourquoi la pratique est devenue si répandue, notamment parmi la classe moyenne.
Certaines applications participent à cette organisation. Andrew Yates, créateur de l’application Alpenglow, donne des prédictions et classe les couchers selon l’orientation et la nébulosité :
«En el último mes, 150.000 usuarios han abierto y utilizado la aplicación, que se ha descargado cerca de millón y medio de veces en su existencia. De ese millón y medio, 600.000 fueron en España. Allí tuve 80.000 descargas en un solo día en 2021 por un tiktok viral de una española»,
et il reconnaît que l’usage principal peut devenir photographier plutôt que contempler, mais espère que son outil «puede ayudar a la gente a hacer una pausa y mirar hacia arriba, incluso sin sacar el teléfono».
Sur le terrain, des témoignages personnels rivalisent avec les usages numériques. Xabi Guede, 23 ans, résume son attachement ainsi : «Para mí el hecho de que ocurra cada día y aún así nos guste o nos emocione creo que tiene que ver con la carga sentimental que le damos a que acabe un dia, a cerrar un ciclo. Es un momento para reflexionar y estar con gente valorándolo». Pour María Gil, «es un espectáculo de la naturaleza que se puede ver todos los días y, en realidad, nunca es el mismo».
Corraliza rappelle aussi un aspect concret : ces moments aident à interrompre la rumination mentale et à retrouver une attention dirigée vers l’instant. «Yo no quiero acabar el día pensando en la última mala palabra que me ha dicho un jefe. Y realmente no es que busquemos ver el atardecer para cerrar bien el día, pero lo vemos y decimos: sí, ya está, ya puede terminarse el día, merece la pena cerrarlo. Está todo bien. Vamos a ver qué nos depara el siguiente».
Enjeux pratiques et durabilité
Le boom du coucher de soleil en Espagne pose des questions de gestion des flux, de préservation des lieux et de respect des riverains. Les fermetures ponctuelles, la multiplication des «rankings» et des groupes dédiés sur les réseaux témoignent d’une massification qui inquiète déjà certains parcs naturels et territoires fragiles.
Scientifiques, sociologues et acteurs touristiques conviennent que la contemplation du crépuscule combine effets bénéfiques réels et risques d’instrumentalisation commerciale. Reste que, qu’on le photographie ou qu’on le vive en silence, le soleil continuera de se coucher demain : pour beaucoup, c’est déjà une assurance de consolation et de continuité face aux incertitudes quotidiennes.