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Comment la crise de la Banque centrale de Libye a-t-elle surgi
Depuis lundi dernier, les discussions orchestrées par la mission des Nations Unies en Libye se poursuivent afin de résoudre la crise de la Banque centrale de Libye, qui a conduit à l’arrêt de la production pétrolière et avertit d’une crise majeure menaçant le pays depuis des années.
Le 27 août dernier, le président du conseil des députés libyens, basé à Benghazi, Aguila Saleh, a menacé de fermer les champs pétroliers et gaziers jusqu’au retour du gouverneur de la Banque centrale, Saddek El Kaber, à son poste.
Depuis la mi-août, la Libye traverse une crise profonde après que le conseil présidentiel, sous la présidence de Mohamed Menfi, a décidé de révoquer le gouverneur de la Banque centrale, provoquant un rejet de la part du conseil des députés.
Nature de la crise
L’éclatement de la crise de la Banque centrale a été précipité par la décision du conseil présidentiel, basé à Tripoli, de limoger son gouverneur et de nommé un remplaçant. Cela a entraîné une montée en puissance des factions armées des deux camps en préparation de possibles affrontements.
Le président du gouvernement d’union nationale, Osama Hamad, a déclaré l’état de force majeure sur le secteur pétrolier, interrompant la production de brut, en raison de ce qu’il a qualifié d’intrusion d’une commission de passation de pouvoir dans les locaux de la Banque centrale pour permettre à la nouvelle direction d’entrer en fonction.
Le Conseil des députés et le gouvernement qui en dépend s’opposent à cette décision, soutenant que la nomination du gouverneur de la Banque centrale n’est pas du ressort du conseil présidentiel, mais est une prérogative exclusive du Conseil des députés en consultation avec le Conseil d’État, conformément à l’accord politique libyen signé à Skhirat, au Maroc, en 2015.
Pour sa part, le conseil présidentiel justifie sa décision de nommer une nouvelle direction à la Banque centrale par la nécessité de renforcer ses capacités à mener à bien ses missions avec efficacité et d’assurer la continuité des services financiers tout en atteignant la stabilité économique.
Avant la crise
Afin d’explorer la nature de cette crise et ses répercussions, Al Jazeera a interviewé Claudia Gazzini, experte en affaires libyennes au sein de la Groupe d’études sur les crises. Elle a déclaré que nous suivons les évolutions de la situation sur le terrain et analysons les événements pour envisager ce qui doit se passer en Libye.
Gazzini a ajouté que l’arrêt des exportations de pétrole ordonné par le gouvernement associé au maréchal Khalifa Haftar est une réponse au conflit pour le contrôle de la Banque centrale.
Elle explique que depuis la chute du président libyen Muammar Kadhafi, le gouverneur de la Banque centrale, Saddek El Kaber, a su naviguer à travers les paysages politiques changeants, se retrouvant même dans la situation de financer des projets de reconstruction qui sont liés à Khalifa Haftar.
Elle souligne que la relation entre le gouverneur de la Banque centrale et le Premier ministre reconnu au niveau international, Abdul Hamid Dbeibah, s’est détériorée depuis plus d’un an et demi lorsque ce dernier s’est plaint de ne plus recevoir de fonds de la Banque.
Causes de la crise
En examinant la crise de la Banque centrale, il apparaît que le problème dépasse le simple désaccord sur la personne à la tête de la gestion des finances libyennes et le financement des projets d’infrastructure.
Nizar Krikesh, directeur du Centre Bayane d’études, indique que la situation actuelle est le résultat d’un ensemble de contradictions et d’erreurs présentes dans les accords politiques antérieurs, que tout le monde a tenté de cacher sous le prétexte de résoudre le conflit, ignorant les enjeux psychologiques et les intérêts des acteurs. La priorité étant d’arrêter la guerre sans vraiment savoir comment y parvenir.
Il note que ce qu’il se passe maintenant est le résultat d’un manque d’organisation réel des résultats de l’Accord de Genève de 2021, parrainé par les Nations Unies, dont les résultats n’ont pas été satisfaisants pour toutes les parties impliquées, suscitant des rivalités personnelles.
Ce constat est partagé par Ashraf Al-Shah, ancien conseiller politique du Conseil supérieur d’État, qui mentionne que chaque partie a construit son propre projet pour gagner l’opinion publique. Dbeibah a par exemple lancé le projet “Return to Life”, qui visait à conjuguer ses efforts avec ceux de Saddek El Kaber, en financant ces initiatives malgré les polémiques concernant l’approbation du budget par le parlement.
Dans l’est, Khalifa Haftar a supervisé un projet de “reconstruction” après la catastrophe de Derna, facilitant ainsi l’émission d’une loi pour l’Agence de reconstruction de la Libye et négociant avec le gouverneur de la Banque centrale pour financer d’importants projets en dehors des cadres légaux et réglementaires.
Le rôle du financement politique
L’autre visage de la crise de la Banque centrale de Libye est lié à l’utilisation du financement politique, qui a joué un rôle crucial dans l’escalade du conflit entre les factions libyennes.
Al-Shah résume que les divergences entre le gouvernement de Dbeibah et Saddek El Kaber, qui a commencé à répondre aux demandes de Khalifa Haftar pour financer ses projets, ont amené le camp de Tripoli à considérer cette rébellion du gouverneur de la Banque centrale comme une menace existentielle à leur position politique.
Le chercheur et politicien Ahmed Abdallah Al-Aboud explique que l’utilisation politique des fonds a permis d’acheter des allégeances et d’accentuer les divisions, un phénomène observé depuis l’accord de Genève.
Conséquences de la crise
Ahmed Al-Aboud souligne que la crise de la Banque centrale a des répercussions significatives sur le développement en Libye, notamment l’arrêt des projets d’infrastructure liés au programme de reconstruction en cours dans l’est du pays.
Claudia Gazzini décrit que la lutte pour le contrôle de la Banque centrale pourrait avoir des conséquences graves sur la situation humanitaire, étant donné que la Banque régule toutes les transactions, paie les salaires et approuve les lettres de crédit pour l’importation de marchandises. Cela est d’autant plus inquiétant pour la Libye, qui dépend largement des importations pour la construction, la nourriture et l’accès aux devises étrangères.
Elle note que la rivalité politique et la compétition pour le financement de la Banque centrale impactent négativement les initiatives de développement, surtout dans certaines régions reculées du sud, où la situation est particulièrement inquiétante, entraînant des coûts plus élevés en raison de distances de transport.
Selon Gazzini, bien que la situation économique soit tendue, il n’existe pas de crise humanitaire directe, car la plupart des Libyens sont employés dans le secteur public et reçoivent des salaires, même s’ils peuvent être retardés, permettant ainsi de survivre. Cela empêche toutefois un appauvrissement massif de la population.
Il convient de noter qu’au soir de mardi, les discussions orchestrées par la mission des Nations Unies en Libye se poursuivaient, en vue d’un « accord imminent » entre les parties concernées par la crise de la Banque centrale.