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La Sifdalenka, nouvellement inscrite au patrimoine immatériel de l’UNESCO
Chaque vendredi soir, l’artiste populaire Enis Salman monte sur scène pour emmener son public dans un voyage à travers le temps avec la chanson « Sifdalenka », une forme merveilleuse de chants d’amour et de dévotion qui touche l’âme par son style délicat et émotionnel. Ce mois-ci, cet art ancestral a reçu une reconnaissance mondiale en étant inscrit sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO, devenant ainsi un symbole célébré au niveau international.
Un héritage culturel riche
La Sifdalenka n’est pas simplement une chanson, mais un témoignage de la rencontre des cultures, dont les racines remontent au XVe siècle, à l’époque de la Bosnie ottomane. La chanson allie la poésie orale slave du sud et la musique ottomane, intégrant des touches européennes et andalouses pour offrir une œuvre musicale qui exprime l’amour, la nostalgie et la nature d’une manière poétique riche en symbolisme et en héritage.
Enis Salman est l’un des rares musiciens à avoir préservé cet héritage artistique rare. Il parle avec passion de sa relation profonde avec la Sifdalenka : « J’ai commencé à jouer et à chanter la Sifdalenka depuis l’âge de quatorze ans. Elle est devenue une partie de mon âme, et je ressens la responsabilité de préserver cet art pour les générations futures. »
Une tradition familiale vivante
La Sifdalenka a toujours été chantée lors des rassemblements familiaux, transmise à travers les générations sans nécessiter de musique, ou accompagnée d’instruments traditionnels tels que le luth. Cette simplicité lui a permis de perdurer à travers les siècles, comme un message d’amour continu qui passe d’un cœur à un autre.
Ces dernières années, plusieurs jeunes musiciens ont revitalisé ce genre artistique en le présentant de manière moderne, contribuant ainsi à lui donner une renommée mondiale, sans que la chanson perde son caractère authentique ou son âme émotionnelle humaine.
La musique des Balkans transcendant les frontières
Le premier aspect qui attire l’attention lors de l’écoute des chansons de Sifdalenka est leur caractère balkanique général qui refuse de se limiter à des frontières culturelles ou géographiques strictes. Cette musique, dont les racines s’étendent à travers la péninsule des Balkans, porte dans ses mélodies et ses instruments un message qui transcende les frontières, bien que la politique, la propagande et les guerres aient laissé leur empreinte, faisant d’elle un témoin des fluctuations de l’histoire.
Dans une discussion avec Al Jazeera Balkans, le chercheur en musique folklorique Vanja Muhović a expliqué que la Sifdalenka a prospéré dans les villes balkaniques, où elle était chantée de manière à unir les habitants, quelle que soit leur origine culturelle ou religieuse. Contrairement aux villages qui ont conservé leurs traditions musicales, la Sifdalenka est devenue une langue artistique universelle, exprimant des émotions partagées comprises de tous.
Une identité musicale partagée
Muhović souligne que la période de domination ottomane a joué un rôle majeur dans la formation de la Sifdalenka, alors que les villes balkaniques étaient influencées par le style architectural et culturel turc. Il déclare depuis Sarajevo : « À cette époque, des pays comme la Bosnie, la Serbie, la Macédoine et le Kosovo ont connu une évolution similaire, avec des chansons qui pouvaient être comprises de tous parmi des habitants partageant une langue commune. »
Le chercheur mentionne également que les villes balkaniques n’étaient pas cloisonnées, mais partageaient largement leurs traditions et cultures. « Il n’y avait pas de grande différence entre Niš en Serbie, Sarajevo et Skopje. La vie quotidienne était très semblable, tout comme les chansons qui accompagnaient les gens dans leurs joies et leurs peines. » Avant l’avènement des médias modernes, des groupes de musiciens roms parcouraient l’ancienne Yougoslavie, transportant les mélodies de la Sifdalenka entre les villes et les villages.
Les racines de la Sifdalenka
Vanja Muhović estime que le terme « Sifdalenka » dérive du mot « Sifdah », prononcé « Siuda », qui a un ancêtre arabe dans le mot « Soudah », reflétant la notion de tristesse et de mélancolie. Cependant, une autre opinion suggère que la véritable racine du mot provient de l’ottoman « Sefda », qui signifie « amour ».
Muhović combine ces deux idées en déclarant : « Sifdah signifie le désir émotionnel, la souffrance et la nostalgie. Mais elle est devenue un symbole d’un riche patrimoine musical profondément ancré dans l’âme des Bosniaques. Il est à noter que ce terme n’était pas initialement utilisé pour désigner uniquement les chansons, mais exprimait des états émotionnels qui dépassaient l’amour pour englober les détails de la vie quotidienne. »
Les instruments de la Sifdalenka
Muhović aborde également la place de certains instruments tels que le saz et le gusle, expliquant qu’ils font tous deux partie du patrimoine bosniaque, mais diffèrent par leur origine et leur utilisation. Il ajoute : « Le gusle est un instrument présent dans une large zone allant des pays arabes aux Balkans, principalement utilisé dans les traditions de la poésie épique, et à Sarajevo, avant la Seconde Guerre mondiale, il était joué lors des soirées de Ramadan. Il était très présent dans la vie sociale. »
En revanche, le saz est considéré comme un instrument exclusif de la Sifdalenka en Bosnie-Herzégovine, utilisé uniquement pour accompagner ces chansons, précisant qu’il s’agit d’un instrument d’origine orientale, introduit par l’Empire ottoman en Bosnie, et utilisé uniquement comme accompagnement de la Sifdalenka.
Extraits de chansons de Sifdalenka
Voici quelques extraits des chansons de Sifdalenka, qui varient d’une région à l’autre dans les Balkans :
- Peu importe combien je chante ce soir,
la chanson penchera vers la Sifdalenka. - J’ai vu dans mon rêve une bergère,
pleurant dans le verger de pruniers. - Un éclair a frappé, et la paille a pris feu,
et son troupeau s’est dispersé. - La fumée s’est mêlée à ses cheveux,
et elle a dit que son nom était « Bosnie »,
quel nom étrange pour une fille ! - Pour certains, la rivière Drina coule à droite,
et pour d’autres, elle coule à gauche. - Bien qu’elle coule vers les profondeurs,
et divise le monde en deux. - Je connais un passage caché, ô ma gazelle,
où le pont s’étend là où je me tiens. - Bien que des chevaux noirs m’entraînent,
je n’ai pas de destination, et tu es de l’autre côté. - Cette boussole ancienne est restée dans ma poitrine,
et dans les champs sont apparues des barrières,
des ombres noires nichent dans les âmes,
planant au-dessus de moi comme des corbeaux. - Un jour, j’ai voyagé à travers la lune,
dans un État plein de voleurs. - Mais maintenant, les yeux des gens,
me font plus peur que les yeux des loups. - Mes amis, je les ai mentionnés mille fois,
dans mes prières,
seront-ils heureux de me voir ?
Ou détourneront-ils leurs têtes de moi ? - Que puis-je mentir ? Que puis-je leur dire ?
Le monde ne peut être sauvé par des chansons. - Leurs soucis m’occupent même ce soir,
pendant que je me prépare à rentrer chez moi, en exil. - Nous avons été dispersés dans le monde comme des perles,
portés par le ciel comme un tapis volant. - Ces jours-là, étaient-ils vraiment meilleurs ?
Ou étions-nous simplement meilleurs ? - Nous étions unis par un seul regard,
prédictions que nous rêvions du même rêve. - Jusqu’à ce que Dieu accepte,
que nous priions ou que nous nous inclinions.