Home ActualitéCensure de livres aux États-Unis : un climat de terreur grandissant

Censure de livres aux États-Unis : un climat de terreur grandissant

by Sara
États-Unis

Aux États-Unis, la censure des livres prend des proportions inquiétantes, remettant en question la liberté d’expression et l’accès à une éducation complète. Des œuvres classiques, telles que *La Servante écarlate* de Margaret Atwood et *Le Journal d’Anne Frank*, sont désormais bannies de nombreuses écoles et bibliothèques, soulevant des inquiétudes quant à l’avenir de la littérature et de la pensée critique.

Contre tous les totalitarismes

Qu’ont en commun *La Servante écarlate* de Margaret Atwood, *Le Journal d’Anne Frank*, le roman graphique *Maus* d’Art Spiegelman, *1984* de George Orwell, *Fahrenheit 451* de Ray Bradbury, *Dune* de Frank Herbert ou *Beloved* de Toni Morrison ? Dans certains districts, comtés, voire dans certains États, ces classiques ne sont plus enseignés dans les écoles et ne sont plus accessibles dans les bibliothèques. «J’ai toujours cru que les États-Unis étaient contre tous les totalitarismes. Si c’est le cas, il est important que le jeune public soit capable de reconnaître les signes de ce type de régimes. Un de ces signes est la censure des livres. Dois-je ajouter autre chose ?» a déclaré Margaret Atwood en apprenant que *La Servante écarlate* était bannie des écoles de Leander, au Texas.

Outre ces titres emblématiques, ce sont principalement les albums illustrés pour enfants et les romans pour jeunes adultes qui se retrouvent ciblés. Pour l’année scolaire 2023-2024, 44 % des livres censurés mettaient en avant des personnages « de couleur » ou abordaient des thématiques liées à l’histoire de l’esclavage et à la lutte pour les droits civiques des Afro-Américains. De plus, 39 % des livres contenaient des personnages ou abordaient des thématiques LGBTQ+, avec un accent particulier sur les personnages trans.

En 2022, Margaret Atwood et sa maison d'édition Penguin ont sorti une édition de «La servante écarlate» résistante au feu.

«Obscène» ou «pornographique»

À PEN America, Sabrina Baêta fait partie des quatre personnes mobilisées à temps plein pour suivre cette vague liberticide. «Les associations et les groupes de pression derrière cette campagne de censure sans précédent extraient une image, un mot, une expression de leur contexte et déclarent que le livre est obscène ou pornographique. Ce ne sont que des prétextes pour interdire des contenus qui ne correspondent pas à l’idéologie de ces groupes, qui reprennent largement les thèses du nationalisme chrétien», s’alarme-t-elle.

Le nationalisme chrétien, un mouvement extrémiste émergé dans les années 1980 sous Reagan, promeut la suprématie blanche et chrétienne, et gagne en influence dans le paysage politique américain, avec Donald Trump comme figure emblématique.

Une histoire de censure

La censure de livres n’est pas nouvelle aux États-Unis. *La Case de l’oncle Tom*, en 1852, a été interdite dans les États du sud pour son propos antiesclavagiste, tandis qu’*Ulysse* de James Joyce a été censuré dès sa parution en 1920 pendant près de quinze ans pour pornographie. Des années 1950 à aujourd’hui, la censure cible régulièrement les œuvres représentant des Noirs américains, des homosexuels et la sexualité en général. «Les livres censurés restent souvent les mêmes au fil des décennies. Ce qui change aujourd’hui, c’est l’augmentation du nombre de livres concernés et les méthodes utilisées par les censeurs», remarque Sabrina Baêta.

Harcelés et licenciés

Les bibliothécaires font face à des menaces, des injures et du harcèlement sur les réseaux sociaux, alors qu’ils s’efforcent simplement de conseiller des livres adaptés aux jeunes. Parfois, ces professionnels sont traînés devant les tribunaux pour avoir diffusé des livres jugés inappropriés et peuvent être licenciés s’ils refusent de retirer ces livres des étagères. «C’est un métier de passion. Les bibliothécaires croient en leur mission de relier les gens, d’informer, d’éveiller la curiosité», explique Deborah Caldwell-Stone, directrice du département de la liberté intellectuelle à l’ALA, l’Association des bibliothécaires américains.

Kim A. Snyder, réalisatrice de *The Librarians*, se souvient de son choc face à la liste de 850 livres à interdire présentée en 2021 par un élu texan. «On a vite compris qu’il s’agissait d’une campagne bien organisée, avec des relais sur tout le territoire et dotée de gros moyens financiers», souligne-t-elle.

Démanteler les écoles publiques

Des groupes complotistes, alimentés par la pandémie, le meurtre de George Floyd et le mouvement Black Lives Matter, apportent de nouveaux livres dans les bibliothèques, exacerbant la censure. Sabrina Baêta y voit un projet de démantèlement de l’enseignement public aux États-Unis, renforcé par des décisions politiques, notamment celle de Donald Trump de réduire de moitié les effectifs du Département de l’éducation.

Créer un climat de terreur

Lauren Groff, romancière finaliste du National Book Award, partage cette inquiétude. Face à l’augmentation des livres censurés en Floride, elle a décidé d’ouvrir une librairie en 2024, nommée «The Lynx». En vitrine, elle expose une sélection de livres censurés, affirmant que ces interdictions sont un test de la résilience des citoyens. «Les *book bans* visent à créer un climat de terreur qui empêche toute résistance», souligne-t-elle.

Malgré tout, une majorité de la population, même dans l’État conservateur de Floride, s’oppose à la censure des livres. Des lois *Freedom to Read* ont récemment été adoptées dans plusieurs États, témoignant d’une volonté de résistance face à cette vague de censure.

L’union fait la force

Lauren Groff insiste sur l’importance des librairies et des bibliothèques comme piliers de résistance. «Il nous faut créer des liens, nous rassembler, en partant du tout proche. Les actions symboliques, comme l’aide aux communautés menacées, sont essentielles pour garder l’espoir dans des temps sombres», conclut-elle.

Censure De Livres | Censure | Livres | Liberté Dexpression | États-unis | Bibliothèques
source:https://www.letemps.ch/articles/censure-de-livres-aux-etats-unis-quand-la-peur-s-abat-sur-les-bibliotheques-et-les-ecoles

You may also like

Leave a Comment