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La vulgarisation de l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) ranime une vieille question philosophique : qu’est-ce que créer ? Une grande partie du Web pourrait bientôt ne plus être produite par des humains. C’est la théorie du « dead internet » : un Web où la plupart des utilisateurs sont des bots et le contenu est essentiellement généré par des algorithmes. Aujourd’hui, ce cimetière de l’auteur n’est plus tout à fait de la science-fiction et pose une question philosophique : que devient la création à l’ère d’une IA qui peut imiter n’importe quel style artistique, voire se copier elle-même ?
Une histoire d’innovations technologiques
L’histoire des innovations technologiques est aussi celle d’une longue mise à l’épreuve de la figure de l’auteur. À chaque avancée technique, l’autorité de l’auteur-créateur vacille. Au XIXe siècle, alors que les partitions circulent dans les salles de concert et que la photographie mécanise la reproduction du réel, il faut inventer de nouveaux droits pour maintenir l’auteur en vie. Au XXe siècle, la radio diffuse sans limites, le magnétophone permet la copie domestique et la VHS menace les salles de cinéma. Chaque nouvelle technologie vient ébranler l’auteur et ses droits.
À l’ère de l’IA, qu’est-ce que créer ?
L’IA générative questionne notre idée de la création et du copyright. Par exemple, si imiter la voix de certaines personnalités est clairement une violation, qu’en est-il de générer des œuvres « dans le style » d’autres artistes célèbres ? Qui devra être payé et combien ? Si une IA peut scanner des millions de photos de mode pour créer des designs, les photographes et créateurs originaux méritent-ils une part des bénéfices ? Est-il juste qu’une technologie rapportant des sommes énormes n’offre aucune compensation aux créateurs de contenus originaux ? Cette zone grise interpelle.
Un dilemme sur le concept de création
Le problème principal est que les modèles de langage sont entraînés sur les œuvres mais ne les stockent pas comme une base de données. Ils extraient des schémas à partir d’immenses volumes de données et « digèrent » l’information, sans conserver explicitement les contenus originaux. D’un côté, cette réalité ne correspond pas au cadre juridique actuel de la propriété intellectuelle et crée un dilemme sur le concept du fair use. D’un autre côté, elle ranime une vieille question philosophique : qu’est-ce que créer ?
Redéfinition de l’auteur
L’IA remet en question notre vision romantique d’un créateur absolument original et totalement génial. Après tout, les artistes humains ne fonctionnent-ils pas comme l’IA, en s’inspirant constamment d’autres artistes ? Les grandes œuvres d’art impliquent même parfois une chaîne immense de contributeurs. La signature d’un auteur cache souvent une foule d’autres âmes.
C’était déjà la thèse de Roland Barthes dans son essai *La Mort de l’auteur*. Pour lui, un texte n’est pas fait d’une ligne de mots, mais d’un espace à dimensions multiples, où se marient et se contestent des écritures variées. Quand une IA comme ChatGPT écrit, elle associe et mélange des éléments qui existent déjà, rejoignant ainsi la pensée de Barthes.
Vers une nouvelle vision de l’art
L’IA n’a pas tué l’auteur. L’idée d’un créateur absolument original était contestée bien avant l’émergence de ces technologies. Cependant, comme toute nouvelle avancée, elle change notre façon de voir l’art et oblige à repenser notre créativité propre. Paul Valéry écrivait déjà qu’il faut s’attendre à ce que de si grandes nouveautés transforment toute la technique des arts et modifient la notion même de l’art.