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Une découverte scientifique majeure suite au séisme de Kahramanmaraş
Les recherches post-sismiques se concentrent généralement sur l’analyse des données afin de surveiller les impacts des tremblements de terre le long des failles concernées. Une faille sismique correspond à une fracture ou une fissure dans la croûte terrestre, provoquée par le mouvement des blocs rocheux sous l’effet des forces de tension ou de compression, liées au déplacement des plaques tectoniques.
Après le violent double séisme qui a frappé la région de Kahramanmaraş, dans le sud de la Turquie, et dont les effets se sont étendus jusqu’en Syrie, une équipe de recherche conjointe réunissant des universités chinoises et américaines a entrepris ce travail d’analyse. Mais cette étude de routine a abouti à une surprise scientifique : la découverte d’un nouveau type de répliques, baptisées « tremblements de terre silencieux ».
Analyse des liens sismiques et découverte d’un phénomène inédit
Les chercheurs ont examiné les relations entre le séisme principal et les répliques survenues à plusieurs centaines de kilomètres. Leur étude, publiée dans la revue AGU Advances, révèle un type de répliques jamais observé auparavant.
Yi-Jian Chu, du département des sciences de la Terre et des planètes à l’université de Californie, co-auteur de l’étude, explique : « Nous nous intéressons habituellement aux séismes de magnitude supérieure à 6. L’analyse des images radar et l’étude des déformations superficielles en résultant font partie de notre routine. Cependant, en étudiant les images du séisme de Kahramanmaraş, qui a causé des fissures sur une partie de la faille de l’Anatolie orientale, nous avons détecté des déformations de surface intrigantes, situées à 100–300 km des principales fractures. Ces signaux sont absents des catalogues sismiques, ce qui a motivé des recherches approfondies. »
Pour cela, l’équipe a utilisé les images des satellites Sentinel-1 et ALOS-2 afin de mesurer les variations d’altitude du sol après le séisme.
Choix des satellites et méthodologie
Yi-Jian Chu précise : « Ces deux satellites ont été choisis pour leur grande précision et sensibilité aux déformations de surface. Le deuxième satellite offre une meilleure couverture dans les terrains accidentés, tandis que le premier bénéficie d’une fréquence de passage élevée, revisitée tous les 12 jours. En combinant leurs données, nous avons pu observer des mouvements très subtils dans des zones dépourvues de stations GNSS ou sans secousses ressenties. Certaines déformations dépassaient les 10 cm, indiquant un glissement important de la faille sans émission de signaux sismiques. »
Identification de huit événements hors de la faille principale
Selon l’analyse communiquée par l’American Geophysical Union, les images satellites ont permis d’identifier huit événements localisés en dehors de la zone principale de la faille. Ces événements ont provoqué des modifications ponctuelles du niveau du sol suite à la série de séismes de 2023, sans correspondance avec des secousses répertoriées.
Parmi eux :
- Quatre événements de « glissements lents », où l’énergie se libère progressivement sur la faille sur plusieurs semaines ou mois, provoquant un déplacement imperceptible.
- Deux événements sismiques classiques, avec une libération brutale d’énergie masquée par les ondes du séisme principal.
- Deux événements qualifiés de « tremblements de terre silencieux », avec une magnitude supérieure à 5 sur l’échelle de Richter, qui ont engendré une diminution notable des contraintes le long de la faille, similaire à celle des séismes classiques, mais sans génération d’ondes sismiques détectables.
Caractéristiques des tremblements de terre silencieux
Yi-Jian Chu décrit ces événements comme un « mode de transition dans le glissement de la faille ». Ils ont induit des baisses de pression importantes, de l’ordre de 4 à 6 mégapascals, comparables aux séismes habituels, mais sans produire d’ondes sismiques à haute fréquence détectables ni répliques associées.
Contrairement aux glissements lents, qui se caractérisent par une baisse de pression, ces tremblements silencieux libèrent l’énergie d’une manière non sismique mais avec des propriétés dynamiques stimulantes, positionnant ces événements entre les séismes classiques et les glissements lents.
Implications et perspectives
Teng Wang, professeur associé à la faculté des sciences de la Terre et de l’espace à l’université de Pékin et chercheur principal de l’étude, précise : « Nous ne pouvons pas encore affirmer l’impact de ces tremblements silencieux sur la pression dans les failles voisines. Les modèles de glissement ne permettent pas encore de calculer précisément ces changements de contraintes, et des calculs plus détaillés sont nécessaires. »
Il ajoute que, bien qu’ils soient les premiers à documenter ces événements, ils estiment que ces tremblements silencieux pourraient se produire ailleurs, mais restent inaperçus car ils ne génèrent pas d’ondes sismiques détectables.
Concernant l’utilisation des satellites dans les systèmes d’alerte précoce, Teng Wang indique : « Les satellites ne peuvent pas être utilisés directement pour la surveillance en temps réel, car ils ne fournissent pas d’images récurrentes suffisantes pour détecter les déformations avant un séisme. Cependant, ils sont utiles pour étudier l’accumulation des contraintes entre deux séismes, comme si l’on prenait une photo d’une voiture tous les deux jours : on ne peut pas voir le moment précis de l’éclatement d’un pneu, mais on peut observer l’usure progressive. »