Home ActualitéConflits internes en Israël : guerre civile ou crise politique ?

Conflits internes en Israël : guerre civile ou crise politique ?

by Sara
Israël

Les mêmes messages sont répétés, parfois au nom de pilotes, parfois au nom d’anciens combattants de la marine, et parfois au nom d’autres. Ces lettres ne sont pas écrites au nom de nos soldats héros, mais par une poignée d’éléments marginaux, dirigés par des associations financées de l’étranger, dont le seul but est de renverser le gouvernement de droite.

Avec ces mots, Benjamin Netanyahu a accueilli les pétitions protestant contre la poursuite de la guerre à Gaza, réclamant un échange de prisonniers et l’accusant de prolonger le conflit pour servir ses objectifs politiques, au mépris des intérêts sécuritaires d’Israël.

Plus de 120 000 personnes ont signé ces pétitions, parmi lesquelles trois anciens chefs du Mossad, deux anciens commandants de la marine, des milliers d’officiers et de soldats de réserve des forces parachutistes, d’infanterie, de l’aviation et de l’unité de renseignement cybernétique 8200, ainsi que d’anciens ambassadeurs et professeurs universitaires.

En réaction, l’ancien chef d’état-major de l’armée israélienne, Dan Haloutz, a déclaré que « Netanyahu est un ennemi et doit être arrêté ». D’autres ont accusé l’actuel chef d’état-major, Eyal Zamir, d’être « un simple porte-voix de Netanyahu », notamment à cause de sa décision d’enquêter sur les soldats de réserve signataires des pétitions, et de menacer de les exclure de l’armée afin de préserver la discipline au sein des forces armées.

Sans analyser ici les raisons de ces pétitions ni ce qu’elles révèlent sur des fractures grandissantes au sein de l’armée israélienne, il est essentiel de plonger dans les racines profondes de la crise entre Netanyahu et les généraux, qui reflète en réalité des divergences plus larges sur l’identité et l’avenir de l’État d’Israël. Ces différends remontent à bien avant la création d’Israël et se manifestent périodiquement sous forme de nouvelles crises.

Le conflit entre le sionisme de Herzl et celui de Jabotinsky

Depuis la disparition du dernier royaume juif il y a environ deux millénaires, la pensée religieuse juive prônait l’attente d’une intervention divine en fin des temps pour un retour d’exil sans intervention humaine.

Au XIXe siècle, à la suite de la Révolution française de 1789, les concepts de citoyenneté et d’égalité devant la loi se sont répandus, ouvrant aux Juifs européens l’accès aux emplois publics, aux écoles et aux universités. Cela mit fin à des siècles de séparation entre Juifs et sociétés environnantes.

Cependant, selon Shlomo Avineri dans son ouvrage La fabrication du sionisme moderne, ce progrès exacerba le « problème juif » en Europe. Les Juifs durent arbitrer entre leur identité de citoyens et leur identité religieuse, confrontés à des choix quotidiens comme aller à l’université un samedi ou manger de la nourriture non casher au travail.

À cette époque, des nationalismes européens forts comme l’allemand, l’italien et le français apparaissaient, ce qui obligea les Juifs à se demander s’ils étaient Français d’origine gauloise ou Juifs d’origine biblique. Parallèlement, des persécutions antisémites comme les pogroms russes de 1881-1882 alimentèrent la naissance du sionisme en Europe, mouvement politique laïc affirmant que le judaïsme est une nation et non seulement une religion, et prônant la création d’un État juif incarnant cette nation.

Le théodore Herzl (1860-1904) est célèbre non seulement pour avoir appelé les Juifs à revenir en Palestine et à fonder un État, mais surtout pour avoir transformé le sionisme d’un débat intellectuel en un enjeu diplomatique impliquant des grandes puissances, en s’adressant à l’empereur allemand Guillaume II, au sultan ottoman Abdülhamid II, ainsi qu’au ministère britannique des Colonies.

Herzl proposait une vision socialiste pour ce futur État : propriété publique des terres, société solidaire, éducation gratuite, et ouverture aux Arabes désirant s’intégrer en tant que citoyens égaux.

En opposition, Vladimir Jabotinsky (1880-1940), né à Odessa, théorisa un sionisme ethnique dans son article « Sur la race », où il affirma que les communautés ethniques se distinguent par leurs caractéristiques raciales. Il prônait un État juif sans minorités susceptibles de fragiliser l’unité nationale.

Jabotinsky combattit vigoureusement les idées socialistes du sionisme traditionnel, estimant que toute organisation sociale basée sur les classes menacerait l’unité et la survie du peuple juif. Il fonda en 1925 l’Organisation sioniste révisionniste, puis se sépara du mouvement de Herzl pour devenir le père spirituel de la droite sioniste.

Dans son célèbre article « Le mur de fer » (1923), Jabotinsky affirma que la réconciliation des Arabes avec le sionisme ne surviendrait que lorsque l’État juif serait suffisamment fort pour dissuader toute tentative d’éradication. Cela nécessitait la constitution d’une force militaire puissante, une doctrine politique qui a façonné Netanyahu et sa mouvance pendant des décennies.

Netanyahu, dans ses mémoires publiées en 2022, raconte que son père, Ben-Zion Netanyahu, rencontra Jabotinsky en 1939 à Londres, qui lui recommanda de transférer ses activités de Grande-Bretagne aux États-Unis, une puissance montante avec une importante communauté juive. À la mort de Jabotinsky, Ben-Zion déclara : « Le berger est parti, les moutons se dispersent. »

La montée de la gauche au début de l’État d’Israël

À la proclamation de l’État d’Israël en 1948, David Ben Gourion en prit la tête et bâtit le pays selon un modèle socialiste, mettant fin au conflit avec la droite par la force. Lorsque l’organisation paramilitaire Irgoun, dirigée par Menachem Begin, refusa de remettre les armes qu’elle avait importées de France à bord du navire Altalena, Ben Gourion ordonna l’attaque du navire, tuant seize membres de l’Irgoun, garantissant ainsi le monopole de la violence à l’État.

L’élite ashkénaze d’origine européenne s’imposa dans les sphères militaires, académiques, judiciaires et médiatiques, tandis que l’immigration juive en provenance des pays arabes, notamment après la guerre de 1956, forma des couches sociales moins éduquées et moins fortunées.

La guerre de 1967 transforma l’armée israélienne en une légende invincible aux yeux des colons. Israël conquit Jérusalem-Est, la Cisjordanie, le Sinaï et le Golan en six jours, détruisant les armées de trois pays arabes. La droite nationaliste et religieuse y vit l’avènement de leur « troisième royaume » et la concrétisation de la « Grande Terre d’Israël » pour le peuple juif.

La victoire de la droite

Les officiers de l’armée occupante gagnèrent un poids politique considérable, avec des figures comme Moshe Dayan et Yitzhak Rabin. Cependant, la guerre de 1973 fut une surprise : l’armée égyptienne franchit le canal de Suez et la Syrie lança une offensive pour reconquérir le Golan. L’armée israélienne fut prise au dépourvu, une commission d’enquête (commission Agranat) fut instaurée, et le chef d’état-major David Ben Eliézer ainsi que plusieurs hauts gradés démissionnèrent. La confiance dans l’armée diminua.

Aux élections de 1977, la droite remporta pour la première fois la Knesset, et Menachem Begin devint Premier ministre. D’importants changements sociaux eurent lieu avec l’arrivée massive de Juifs originaires des pays arabes. Les partisans de Jabotinsky accédèrent au pouvoir et lancèrent la colonisation en Cisjordanie, qu’ils considéraient comme partie intégrante de la Terre d’Israël biblique. Ils rejetèrent la solution à deux États, perçue à gauche comme un compromis garantissant le caractère juif d’Israël tout en affaiblissant la future Palestine.

Le retour de la gauche et les accords d’Oslo

Après la guerre du Liban en 1982 et le déclenchement de la première Intifada en 1987, le parti travailliste d’Isaac Rabin remporta de nouveau les élections. Rabin s’engagea dans les négociations d’Oslo, soutenu par les forces de sécurité qui voyaient dans une solution politique la seule issue pour mettre fin à l’insurrection.

Yasser Arafat et ses partisans revinrent à Gaza et en Cisjordanie pour former l’Autorité palestinienne. Mais Rabin fut assassiné en 1995 par un extrémiste de droite, Yigal Amir, qui l’accusait de trahison. La gauche israélienne recula politiquement après la défaite du Likoud en 1992, qui vit ses principaux dirigeants se retirer.

Netanyahu, à 43 ans, prit la tête du Likoud après une élection interne. En 1996, après l’assassinat de Yahya Ayyash par Israël, les Brigades Al-Qassam lancèrent une série d’attaques de représailles dites « opérations de vengeance sacrée », tuant 60 Israéliens avant les élections législatives. Netanyahu remporta ces élections face à Shimon Peres avec le slogan « Netanyahu pour une paix sûre ».

Après un passage au ministère des Finances sous Ariel Sharon, Netanyahu contribua à renforcer la loi Haloutz, qui étendait la durée d’interdiction pour les généraux de se lancer en politique après leur service militaire, afin d’entraver la candidature de Dan Haloutz aux élections.

La montée de Netanyahu

Après la scission d’Ariel Sharon et la création du parti Kadima, Netanyahu remonta à la tête du Likoud, bénéficiant notamment de la maladie de Sharon et de l’échec de la guerre du Liban en 2006. Il remporta les élections législatives de 2009 et affina sa rhétorique contre la gauche et les chefs militaires et des services de sécurité, qu’il considérait comme les principaux obstacles à son pouvoir.

Selon lui, les accords d’Oslo avaient placé les dirigeants de l’Organisation de libération de la Palestine trop près des populations israéliennes, causant la mort de mille Israéliens lors de la seconde Intifada. Il dénonçait le retrait de Gaza qui avait transformé le Hamas en quasi-armée régulière.

Netanyahu estimait également que la solution à deux États offrirait aux Palestiniens un tremplin pour revendiquer le reste de la Palestine, menaçant la sécurité d’Israël, avec le risque que Gaza ne devienne un modèle sous contrôle du Hamas.

Une tentative de changement de l’équilibre politique

Après sa défaite en 2021 face à une coalition fragile menée par son ancien allié Naftali Bennett, Yair Lapid et les partis arabes, Netanyahu forma une alliance avec les partis religieux sionistes, dont les figures extrémistes Smotrich et Ben Gvir. Cette coalition remporta 61 sièges à la Knesset fin 2022.

Ils proposèrent un ensemble de lois visant à réduire l’autorité de la Cour suprême, perçue comme un bastion de la gauche, notamment :

  • La loi de protection empêchant de destituer le Premier ministre sauf en cas d’incapacité physique ou mentale avérée, avec l’accord des deux tiers de la Knesset.
  • La loi dite de « surpassement », permettant à la Knesset de réadopter des lois annulées par la Cour suprême.
  • La loi « Deri 2 », protégeant le gouvernement contre l’ingérence judiciaire dans la nomination de ministres accusés de corruption ou d’infractions pénales.
  • La loi sur le conseiller juridique, déclarant que les conseils juridiques au Premier ministre ou au gouvernement ne sont pas contraignants, et que chacun peut s’en affranchir.

Les adversaires de Netanyahu voyaient en ces mesures une tentative de concentration du pouvoir et de maintien au pouvoir à tout prix. L’ancien chef du Mossad Meir Dagan avait déclaré : « Quand d’autres Premiers ministres ont été confrontés à un conflit entre intérêts personnels et intérêts nationaux, ils ont choisi la nation. Netanyahu est l’exception. »

Des manifestations massives éclatèrent. L’ancien ministre de la Défense Benny Gantz avertit Netanyahu : « Si tu persistes dans cette voie, la responsabilité d’une guerre civile pesant sur la société israélienne sera la tienne. » Le président Isaac Herzog parla à la télévision d’un risque réel de guerre civile.

Des milliers d’officiers et soldats signèrent des pétitions refusant le service militaire si ces lois étaient adoptées. Le Mossad permit à ses agents subalternes de participer aux manifestations. Le chef d’état-major Halévi alerta Netanyahu des conséquences du refus de service dans l’armée de réserve.

À l’inverse, le ministre de la Justice Yariv Levin affirma que « certains juges préparent un coup d’État pour emprisonner Netanyahu », tandis que Yair Netanyahu dénonça une implication du Shin Beth dans un complot contre le Premier ministre.

En mars 2023, lorsque le ministre de la Défense Yoav Galant appela à suspendre les réformes pour préserver la cohésion de l’armée, Netanyahu le limogea. Cela déclencha une explosion sociale : des centaines de milliers manifestèrent, des routes furent bloquées, les universités suspendirent leurs cours, la Histadrout déclara une grève générale, l’autorité aéroportuaire stoppa les vols à Ben Gourion, et les médecins entamèrent une grève dans le secteur sanitaire.

Finalement, Netanyahu fit marche arrière, annonçant : « Par responsabilité nationale et pour éviter la division, j’ai décidé de geler le plan de réforme judiciaire. »

La deuxième phase du conflit et ses perspectives

Les événements de la catastrophe du 7 octobre, dite « Tempête d’Al-Aqsa », ont ébranlé les piliers de la sécurité israélienne. Les chefs militaires et des services de renseignement ont baissé la tête face à cet échec, que Netanyahu a habilement exploité pour évincer successivement son ministre de la Défense Galant, puis le chef d’état-major Halévi, qu’il remplaça par son ancien secrétaire militaire Eyal Zamir.

Il mène actuellement une bataille acharnée pour évincer le chef du Shin Beth Ronen Bar, invoquant un manque de confiance, ainsi que la conseillère juridique du gouvernement Ghali Baharav Maïara, tout en cherchant à faire passer des lois modifiant la nomination des juges à la Cour suprême.

Parallèlement, Netanyahu ignore les recommandations des hauts responsables sécuritaires, notamment concernant le soutien à l’Autorité palestinienne, qu’il étouffe, ainsi que les négociations sur la guerre à Gaza, dont il a écarté les chefs du Mossad et du Shin Beth au profit du ministre Ron Dermer.

Ces mesures coïncident avec son appui au plan de déplacement des habitants de Gaza proposé par l’ancien président américain Donald Trump, et l’annonce par le ministre des Finances Smotrich que 2025 sera l’année de l’annexion de la Cisjordanie, conforme à la théorie raciale de Jabotinsky prônant une seule race en terre de Palestine.

Netanyahu est ainsi engagé dans un nouveau cycle de conflit avec ses opposants, les chefs militaires et les services de sécurité. Il se considère comme le garant de la sécurité, le fidèle disciple de Jabotinsky et le porte-étendard de la montée du nationalisme populiste en Israël, qui voit dans la justice, les médias, les services de sécurité et l’armée une élite déconnectée aux politiques désastreuses.

Pour sa part, la communauté sécuritaire le perçoit comme un fardeau pour la sécurité intérieure, un dirigeant privilégiant ses intérêts personnels, favorisant des politiques populistes et exacerbant les tensions régionales, ce qui menace l’avenir et la sécurité d’Israël. Ce conflit semble s’inscrire dans la durée tant que Netanyahu reste au pouvoir, avec des enjeux qui ne cessent de s’amplifier.

source:https://www.aljazeera.net/politics/2025/4/18/%d8%a7%d9%84%d9%83%d9%84-%d9%8a%d9%83%d8%b1%d9%87-%d8%a7%d9%84%d9%83%d9%84-%d9%83%d9%8a%d9%81-%d9%86%d9%81%d9%87%d9%85-%d8%ad%d8%b1%d9%88%d8%a8-%d8%a7%d9%84%d8%a5%d8%ae%d9%88%d8%a9-%d9%81%d9%8a

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