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Malgré la déclaration explicite de Damas prête à satisfaire toutes les exigences américaines en échange d’un allègement partiel des sanctions, la réticence, bien que timide, à traiter la question des combattants étrangers pourrait entraîner de graves conséquences pour le gouvernement syrien.
Les enjeux géopolitiques et le rôle des combattants étrangers
Parmi les conséquences potentielles figure le refus de Washington de reconnaître la légitimité du gouvernement de Damas et la difficulté d’ouvrir des perspectives régionales indispensables à la Syrie, particulièrement dans cette période difficile marquée par la rareté des ressources et le désengagement des alliés, qui craignent la colère américaine. Cette tension pourrait cependant apaiser si le gouvernement d’Ahmad al-Sharq s’aligne pleinement sur les demandes américaines, notamment concernant les combattants étrangers radicaux.
Si Damas a montré une grande flexibilité face à la plupart de ces exigences, le dossier des combattants étrangers demeure le plus sensible. Ces derniers ont joué un rôle clé dans l’accession au pouvoir de l’actuelle autorité syrienne et peuvent représenter une source d’instabilité s’ils perçoivent un changement d’attitude à leur égard. Par ailleurs, la crainte d’une extension du phénomène djihadiste aux pays voisins, en particulier Israël, reste vivace. Jusqu’à présent, Ahmad al-Sharq n’a pas réussi à apaiser les inquiétudes israéliennes, qui justifient souvent leurs ambitions régionales par cette menace transfrontalière.
Une manœuvre prudente et calculée
Le chercheur en groupes islamiques Omar El-Kilani estime que le gouvernement d’Ahmad al-Sharq a besoin de plus de temps pour gérer la situation des combattants étrangers intégrés dans l’armée syrienne. Il souligne que ce dossier doit être abordé avec beaucoup de sagesse afin d’éviter une rupture interne tout en rassurant la communauté internationale sur le fait que ces combattants ne constitueront pas une menace régionale.
Dans une interview accordée à Russia Today, El-Kilani explique que le président syrien s’est moralement engagé à traiter positivement ces combattants, reconnaissant qu’ils méritent une récompense pour leur rôle dans la chute du régime d’Assad. Cette récompense prendrait notamment la forme de la nationalité syrienne, certains ayant déjà occupé des postes de haut niveau dans l’armée ou l’administration militaire. Cela ne signifie pas pour autant que le gouvernement ignore la sensibilité du dossier pour Washington et les pays occidentaux, mais il cherche à gagner du temps pour présenter une solution qui convienne à tous, affirmant : « Accordez-moi du temps et vous verrez comment j’atténuerai vos inquiétudes. »
El-Kilani souligne que les combattants étrangers représentent environ 30 % des forces armées syriennes, un chiffre important qui leur donne un pouvoir de nuisance substantiel en cas de volonté extérieure de les éliminer, surtout si cette volonté est soutenue par des complicités internes.
Scénarios possibles pour l’avenir des combattants étrangers
Intégration à la bosniaque
Selon El-Kilani, si l’Occident accepte, la politique syrienne pourrait s’orienter vers une intégration complète des combattants dans la société, leur octroyant droits et devoirs comme tout citoyen syrien. Cette démarche s’appuierait sur la longue tradition d’accueil d’étrangers dans la société syrienne, fondée sur une « force douce » culturelle. Elle serait conditionnée au respect des lois, à l’absence d’activités menaçant les relations de la Syrie avec ses voisins et au rejet de toute imposition d’une vision religieuse ou communautaire étroite à une population syrienne réputée pour sa tolérance et son ouverture.
Retour dans les pays d’origine
Une autre solution envisagée est le rapatriement des combattants, en coordination avec leurs pays d’origine, pour des programmes de réintégration. Cependant, de nombreux combattants viennent de régimes non démocratiques du tiers-monde, qui privilégient une approche sécuritaire basée sur la détention plutôt que sur la réinsertion. Cela pose un défi majeur pour Damas, qui risquerait d’être perçue comme abandonnant ces individus à leur sort.
Exil politique
Une troisième hypothèse serait d’accorder l’asile politique à ces combattants dans un pays tiers intéressé à créer une base de données sur les djihadistes refusant de retourner dans leur pays pour des raisons de sécurité, sous condition qu’ils n’exercent aucune activité nuisible à la sécurité de cet État.
Relocalisation vers un nouveau champ de combat
Enfin, en cas d’échec des scénarios précédents, Damas pourrait tolérer que ces combattants se déplacent vers un autre théâtre djihadiste, où ils pourraient poursuivre leurs activités sans que cela affecte directement la sécurité de la Syrie ou les intérêts de Washington et Tel-Aviv. Cette option permettrait au gouvernement syrien de réduire la pression sur lui-même concernant la gestion de ces groupes.
El-Kilani précise que ces scénarios pourraient se réaliser simultanément ou séparément, selon l’évolution de la situation et la diversité des combattants étrangers, leurs origines et leurs affiliations. Le gouvernement syrien souhaite discuter de ces questions afin de rassurer l’Occident et trouver un compromis.
Une cinquième option selon un analyste politique syrien
Le politologue syrien Anwar Khalil estime que la question des combattants étrangers en Syrie est trop complexe pour être résolue par une simple intégration, en raison de leur héritage djihadiste et du rejet par Washington et Tel-Aviv de solutions à moitié mesurées.
Khalil identifie les principales nationalités concernées : les Ouïghours chinois, au nombre de plusieurs milliers, affiliés principalement à Hayat Tahrir al-Sham ; les Tchétchènes, réputés pour leur expérience militaire ; les Arabes originaires du Golfe, de Jordanie, d’Égypte et d’Afrique du Nord ; ainsi que des Européens venant de France, du Royaume-Uni et d’Allemagne, bien que leur nombre soit moindre, une partie étant déjà retournée dans leur pays. On compte aussi des combattants originaires d’Ouzbékistan, du Tadjikistan, de Turquie, d’Albanie et d’autres États.
Le récent gel par Damas de la délivrance de grades militaires, après avoir promu six officiers dont un Ouïghour, un Turc et un Jordanien, illustre que tout reste ouvert au débat avant toute escalade éventuelle. Ce geste, selon Khalil, visait à rendre la décision irréversible. Par ailleurs, la demande américaine d’autoriser les frappes occidentales contre des extrémistes en Syrie est considérée comme une formalité, sans réelle influence, puisque des attaques aériennes ont déjà eu lieu sans consultation préalable.
Khalil insiste sur le fait que le gouvernement al-Sharq sait que son passage obligé pour obtenir l’aval américain est Israël, ce qui explique l’ouverture initiale à rejoindre les accords d’Abraham. Par ce biais, la question des djihadistes étrangers pourrait finalement se régler selon les desiderata israéliens.
Enfin, Khalil évoque la forte probabilité d’un scénario d’élimination ciblée des combattants étrangers, qui pourrait se dérouler indépendamment des négociations ouvertes par Damas avec Washington. Il suggère que la Syrie pourrait secrètement encourager ces frappes occidentales comme moyen d’éliminer ces groupes gênants, une opération qui pourrait être confiée aux forces occidentales ou à Israël, qui a déjà mené plusieurs attaques similaires depuis la chute du régime de Bachar al-Assad.