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Alors que les États-Unis se retirent progressivement de la scène internationale, notamment au Moyen-Orient, la montée en puissance des groupes non étatiques puissants bouleverse les équilibres régionaux et mondiaux. Ces groupes armés, souvent extrémistes, bénéficient désormais de nouvelles ressources financières et technologiques, renforçant leur influence et leur indépendance vis-à-vis des États sponsors.
Une montée en puissance facilitée par les technologies et les ressources financières
Lors du forum de sécurité du Soufan Center à Doha, plusieurs spécialistes internationaux ont souligné les tendances favorisant l’expansion des groupes extrémistes violents. Les cryptomonnaies et la création rapide de sociétés écrans permettent à ces acteurs d’accumuler des fonds de manière discrète et efficace. L’intelligence artificielle accélère leurs campagnes de recrutement et de désinformation, tandis que la diminution de la surveillance sur les réseaux sociaux laisse prospérer leurs activités en ligne.
Parallèlement, le retrait américain des efforts diplomatiques multilatéraux atténue la pression qui freinait ces groupes. En conséquence, ces entités gagnent en autonomie et deviennent des outils de choix pour les régimes autocratiques cherchant à étendre leur influence via des milices soutenues par l’État.
Des milices étatiques de plus en plus sophistiquées
Les milices soutenues par des États ne se contentent plus d’opérations marginales. Elles disposent désormais d’armements et de tactiques de plus en plus élaborés, soutenus par une augmentation des financements et des transferts d’armes. Le groupe Wagner, par exemple, déployé par la Russie en Ukraine, en Afrique et au Moyen-Orient, illustre cette tendance.
Au Yémen, le soutien matériel et technique de l’Iran a transformé les Houthis, initialement une insurrection locale, en une menace régionale majeure. Ils sont passés de tirs de roquettes à courte portée à des frappes de missiles de croisière et de drones à plusieurs centaines de kilomètres, ciblant des infrastructures pétrolières en Arabie Saoudite, des aéroports israéliens, le territoire des Émirats arabes unis, ainsi que des navires en eaux internationales.
Une nouvelle ère financière pour les groupes extrémistes
Selon Jan Gleiman, colonel à la retraite de l’armée américaine et expert en sécurité, les options de financement des groupes non étatiques se sont considérablement élargies. Là où auparavant ils dépendaient principalement de dons, de taxes sur des territoires ou de soutiens externes risqués, ils exploitent aujourd’hui les cryptomonnaies, les sociétés écrans et les transactions cryptées.
Ces groupes développent ainsi des sources de revenus variées, allant du trafic d’armes au marché noir jusqu’à des extorsions dans des zones non gouvernées. Un analyste du renseignement spécialisé au Moyen-Orient souligne que ces entités ont étendu leurs activités à la falsification et au détournement de contrats gouvernementaux, blanchissant ensuite les fonds obtenus, dans un contexte de corruption locale généralisée.
Le crime organisé comme modèle économique
Certains groupes ont institutionnalisé des activités criminelles et des actes de sabotage à la demande. Le groupe Wagner, par exemple, recruterait via la plateforme Telegram des individus pour commettre incendies criminels et autres délits, selon des experts en sécurité.
Cette pratique s’étend également à des villes comme New York, où des bandes criminelles transnationales, telles que le gang vénézuélien Tren de Aragua, utilisent la technologie pour externaliser des crimes individuels, créant un véritable modèle « de travail à la tâche ».
Le rôle des États sponsors comme investisseurs stratégiques
Pour Gianni Koskinas, ancien colonel américain devenu PDG, l’Iran utilise stratégiquement les financements destinés à ses groupes proxy, qui deviennent à leur tour des entreprises génératrices de revenus, souvent autosuffisantes.
Cette indépendance financière accru éloigne ces groupes des sanctions internationales et pourrait même les faire évoluer, certains abandonnant progressivement les motivations idéologiques pour privilégier la recherche du profit.
Dominer le récit : recrutement, financement et désinformation
À mesure que les plateformes numériques réduisent leurs efforts de modération, les groupes extrémistes exploitent ces failles pour recruter, collecter des fonds et diffuser leurs messages. Adam Hadley, directeur de Tech Against Terrorism, dénonce la vente d’armes en ligne par les Houthis, un phénomène largement ignoré.
Elon Musk, propriétaire de la plateforme X, est critiqué pour son hostilité à la modération des contenus et sa diffusion de désinformation, selon Marc Owen Jones, spécialiste en analytique des médias.
Par ailleurs, l’utilisation des outils d’intelligence artificielle par ces groupes dépasse désormais celle des États, dévoile Abdelkader Baggag, chercheur au Qatar Computing Research Institute, soulignant le retard des gouvernements dans l’élaboration de politiques adaptées.
Le recul américain et ses conséquences
Aux États-Unis, l’administration Trump a supprimé des institutions clés comme le Global Engagement Center ou Voice for America, dédiées à la lutte contre les narratives extrémistes. Cette décision facilite la montée en puissance de ces groupes, estime Jan Gleiman.
La fermeture de l’USAID prive également de financements essentiels des projets locaux de contre-radicalisation. Plus inquiétant encore, le retrait des États-Unis des institutions internationales de contrôle de la corruption et des transactions financières affaiblit la lutte contre les réseaux criminels transnationaux.
Selon Gleiman, la réponse militaire brute est insuffisante face à ces menaces et il insiste sur l’importance d’une coopération mondiale pour contrer la mobilisation des ressources de ces groupes non étatiques puissants.
Perspectives et enjeux futurs
Si ces évolutions s’accélèrent, elles ne sont pas inédites. L’analyste Peter Bergen rappelle que le retrait américain du Moyen-Orient, notamment les retraits de troupes, a été un facteur majeur dans la montée de ces groupes bien avant l’ère Trump.
Le consensus bipartisan américain en faveur d’un désengagement extérieur s’est déjà traduit par la création de vide sécuritaire, comme celui qui a favorisé l’émergence de l’État islamique.
Pour comprendre l’avenir d’un monde destabilisé par ces groupes, il faut observer la Syrie, véritable laboratoire de la guerre par procuration où s’affrontent milices russes, américaines, iraniennes, irakiennes et turques.
« La Syrie est, à bien des égards, une étude de cas absolue de la guerre par procuration », conclut Gianni Koskinas.