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La Russie face à l’Occident : une résilience inattendue
Les centres de recherche aux États-Unis et dans plusieurs pays occidentaux scrutent attentivement les stratégies russes, particulièrement depuis que la guerre russo-ukrainienne a mis en lumière de nombreuses failles des deux côtés. Contre toute attente, la Russie a su résister aux sanctions occidentales, tandis qu’elle étend son influence, notamment en Afrique.
Cette situation soulève une question cruciale : la Russie dispose-t-elle de plans concrets pour contrer la domination américaine et occidentale sur la scène mondiale, et pour protéger ses intérêts stratégiques ?
La vision stratégique russe : une puissance exceptionnelle
Pour comprendre cette dynamique, il est essentiel d’examiner la pensée stratégique russe. La Russie se perçoit comme une grande puissance unique sur la scène internationale, ancrée dans un héritage orthodoxe et une identité russe singulière.
Cette narration historique insiste sur des racines millénaires, marquées par un sentiment de blessure de l’honneur national face aux États-Unis et à l’Europe occidentale. Cet affrontement a également concerné l’espace vital stratégique russe, affectant son sentiment de sécurité.
Vers un monde multipolaire : les politiques russes
Avec la guerre en Ukraine, la Russie prépare l’avènement d’un monde multipolaire. Elle cherche à affaiblir la domination occidentale par diverses stratégies, dont certaines ont porté leurs fruits, tandis que d’autres ont échoué.
Les axes principaux de ces politiques sont :
- Maintenir son influence sur les anciens pays soviétiques, qu’elle considère comme son domaine vital, notamment grâce à la présence de communautés russes et à des organisations régionales assurant des liens sécuritaires et économiques.
- Utiliser l’Union économique eurasiatique comme levier pour contourner les sanctions occidentales.
- Accentuer son rôle dans l’Organisation de Shanghai et le groupe BRICS pour saper la suprématie occidentale dans l’économie mondiale, en particulier en contestant la domination du dollar.
Les erreurs de l’Occident et la montée d’un nouvel ordre mondial
Selon de nombreux experts russes, la remise en cause de l’hégémonie américaine résulte aussi des erreurs occidentales, telles que :
- Les échecs militaires des États-Unis en Afghanistan et le retrait chaotique.
- Le conflit récent à Gaza, qui a déstabilisé la sécurité globale.
Ces facteurs ont contribué à l’instabilité internationale et à la fragmentation de la coopération mondiale, renforçant l’appel à un système mondial renouvelé, marquant la fin de la domination occidentale.
Influence politique, désinformation et fractures occidentales
La Russie intervient directement pour soutenir des alliés politiques, comme lors des dernières élections en Roumanie. Elle joue également un rôle géopolitique dans la lutte contre la diffusion des valeurs démocratiques et libérales, en appuyant les élites et partis opposés à l’OTAN et à l’Union européenne.
Par ailleurs, la Russie exacerbe la polarisation politique et les mouvements séparatistes dans les pays occidentaux par des campagnes de désinformation sophistiquées, visant à fragiliser la cohésion de ses adversaires.
Cette stratégie s’appuie sur la conviction que l’Occident est profondément divisé. L’ère Trump a illustré cette réalité, mettant en avant les intérêts américains même au détriment de ses alliés traditionnels, comme l’Europe occidentale et le Japon.
La démocratie américaine : un outil ambigu
Les Russes considèrent que la promotion américaine de la démocratie et du libéralisme a souvent servi de prétexte à des changements politiques radicaux orchestrés de l’extérieur. Les « révolutions colorées » en Géorgie (2003), Ukraine (2004) et Kirghizistan (2005) en seraient des exemples, soutenus par des figures pro-occidentales et des ONG financées par des acteurs régionaux.
Ce modèle a conduit, selon eux, à des situations chaotiques, comme en Libye, où l’intervention occidentale a provoqué un vide sécuritaire et une instabilité prolongée.
Le rejet du libéralisme et la valorisation des valeurs traditionnelles
En 2019, Vladimir Poutine a affirmé que les idées libérales étaient dépassées, valorisant les valeurs traditionnelles comme un repère mondial plus stable et un contrepoids au libéralisme. Cette vision met l’accent sur la famille et la religion plutôt que sur l’individu, séduisant ainsi les mouvements conservateurs en Europe.
Par ailleurs, les Russes dénoncent l’hypocrisie américaine qui soutient certains régimes autoritaires tout en violant les règles internationales quand cela sert ses intérêts, comme lors de la reconnaissance du Kosovo, qui a servi de précédent pour justifier l’indépendance des régions d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud.
Les alliances régionales et les limites de la sécurité collective
Le refus russe d’intervenir en faveur de l’Arménie dans le conflit du Haut-Karabakh a affaibli l’Organisation du traité de sécurité collective, réduisant la confiance arménienne en Moscou.
En revanche, la Russie a soutenu son allié kazakh Kassym-Jomart Tokaïev lors des révoltes internes, renforçant ainsi son rôle d’acteur clé en Asie centrale.
Les défis sanitaires et la guerre de l’information
Le revers russe avec le vaccin Spoutnik V pendant la pandémie de Covid-19, face à la concurrence chinoise et occidentale, a mis en lumière des limites industrielles et commerciales.
Par ailleurs, la Russie maîtrise l’art de la guerre de l’information, employant des systèmes complexes pour influencer les élections occidentales et affaiblir la puissance douce américaine.
Une coopération stratégique avec la Chine et la lutte pour le contrôle de l’Arctique
La Russie collabore étroitement avec la Chine dans la confrontation contre les États-Unis. Le président chinois a qualifié leur partenariat de « partenariat sans limites ». Bien que la Chine apporte un soutien significatif, la Russie est consciente que Pékin ne remplacera pas complètement les marchés occidentaux, notamment pour le gaz et le pétrole.
Sur un autre front, la lutte pour la suprématie dans l’Arctique s’intensifie, expliquant l’intérêt croissant pour le Groenland. La Russie a renforcé sa présence militaire dans la région et signé en 2010 un accord avec la Norvège pour résoudre un différend frontalier vieux de 40 ans, atténuant ainsi les tensions régionales.
La Russie promeut également une « Route de la soie polaire » visant à réduire les coûts de transport des marchandises chinoises vers l’Europe, consolidant ainsi son rôle stratégique dans cette région riche en ressources.
Perspectives géopolitiques : vers un monde multipolaire
En résumé, la Russie œuvre à affaiblir la domination américaine et européenne en renforçant sa profondeur stratégique pour assurer sa survie nationale. Ses objectifs incluent :
- Limiter le rôle de l’OTAN et fragiliser l’unité occidentale.
- Réduire l’influence occidentale en Afrique, notamment en évinçant la France de ses zones d’influence traditionnelles.
- Consolider son alliance avec la Chine.
- Promouvoir un système de valeurs traditionnelles face à l’individualisme occidental.
- Affirmer l’inviolabilité de son espace vital.
- Investir dans des zones de vide stratégique, comme l’Afghanistan ou la Libye.
- Jouer un rôle clé dans la sécurité alimentaire mondiale, notamment en tant que fournisseur indispensable de blé.
Au final, le monde qui émerge est multipolaire, organisé autour d’alliances et d’institutions qui concurrencent la structure occidentale. Si la Russie et l’Occident sont en compétition, c’est la Chine qui semble le grand bénéficiaire de ce nouvel équilibre, étendant son influence à travers l’Asie, l’Afrique et l’Amérique latine.