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Le secret littéraire de la CIA pendant la guerre froide

by Sara
Le secret littéraire de la CIA pendant la guerre froide
France, Pologne, USA

La CIA, souvent associée à des opérations controversées plutôt qu’à la promotion de la culture, a mené l’une des plus surprenantes campagnes littéraires de l’histoire. Dans son ouvrage _CIA Book Club_, Charlie English révèle comment l’agence a orchestré un programme de distribution clandestine de livres afin de lutter contre le communisme en Europe de l’Est, une initiative décrite par l’historien Benjamin Fischer comme le « secret le mieux gardé » de la guerre froide.

Une bataille d’idées durant la guerre froide

Au cours de près de cinq décennies, la CIA a fait passer clandestinement dix millions de livres interdits dans les pays du bloc de l’Est. Des œuvres emblématiques, comme _1984_ de George Orwell et des thrillers de John Le Carré, ainsi que des écrits de prix Nobel tels que Boris Pasternak, Albert Camus et Czeslaw Milosz, ont été distribués. Dans un contexte de tensions croissantes où les conflits militaires étaient évités par crainte d’une annihilation nucléaire, l’agence américaine a choisi de mener une guerre sur le plan intellectuel.

La censure et ses stratégies

Contrairement aux nazis qui brûlaient les livres, le système soviétique misait sur une censure plus subtile. La liste des ouvrages prohibés était secrète, et toute mention de la censure était elle-même censurée. Les livres décrivant des vies en dehors du régime communiste étaient perçus comme de la propagande, poussant la CIA à élaborer des méthodes d’envoi innovantes.

En 1955, le Free Europe Committee, sous la direction d’Alan Dulles, a tenté d’envoyer des exemplaires de _La Ferme des animaux_ d’Orwell en utilisant des ballons. Mais face à ce premier échec, l’agence a affiné sa stratégie en envoyant des livres par courrier, permettant même aux destinataires d’envoyer des messages de remerciement.

Jean-Paul II et les destinataires du programme

Le programme, dirigé par George Minden, a établi un vaste réseau de librairies et d’éditeurs. En France, des librairies comme Libella ont collaboré pour acheminer des ouvrages vers l’Est. Les destinataires, parmi lesquels des intellectuels, politiciens et même le futur pape Jean-Paul II, ont reçu des livres qui risquaient de les mettre en danger.

Minden a fait preuve d’inventivité en utilisant une orthographe britannique pour nommer son initiative, l’International Literary Centre (ILC), afin de masquer son lien avec la CIA.

La Pologne : un terrain de prédilection

New York abritait l’ILC, stratégique pour la distribution des livres vers la Pologne, un pays avec des liens historiques forts avec l’Occident. Le régime polonais, bien que répressif, était plus flexible que d’autres dictatures. La CIA a ainsi pu s’appuyer sur un réseau d’émigrés pour faire passer des livres, des machines d’impression et des matériels d’édition.

En 1982, le livre _Le Petit conspirateur_ est devenu le titre clandestin le plus lu en Pologne, prodiguant conseils et stratégies aux activistes. La CIA a également financé le journal clandestin _Mazovia Weekly_, devenu un outil essentiel dans la lutte contre le régime.

Les défis et les contretemps

En 1984, la CIA a intensifié son soutien à Solidarnosc, un syndicat indépendant. Cependant, des opérations furent compromises lorsque des agents furent arrêtés, comme Jacky Challot, qui transportait des livres. La mobilisation en France, orchestrée par des célébrités comme Simone Signoret, a permis de le libérer, illustrant l’importance de ces actions.

Les avancées technologiques ont également modifié le paysage de la guerre d’information. À la fin des années 1980, la télévision par satellite devenait un outil pour diffuser des programmes vers la Pologne, permettant ainsi de contourner la censure.

L’impact culturel et intellectuel

En 1989, avec les « accords de la Table ronde », la Pologne a connu un tournant historique. Des initiatives comme le changement de nom du _Mazovia Weekly_ en _Election Gazette_ témoignent des efforts pour soutenir Solidarnosc lors des élections législatives.

George Minden a résumé l’impact de l’ILC dans un rapport en 1991, mentionnant l’envoi de millions de livres vers plusieurs pays du bloc communiste. Le projet, bien que discret, a été reconnu comme l’une des opérations les plus sophistiquées de la CIA, et le dissident Adam Michnik a magnifiquement déclaré : « Un livre, c’est un réservoir de liberté, de pensée indépendante ».

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