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Financer la mondialisation : Deux siècles de pouvoir économique

by Sara
Financer la mondialisation : Deux siècles de pouvoir économique
France

Les économistes Gastón Nievas et Thomas Piketty ont constitué une base de données inédite concernant la balance des paiements, couvrant la période de 1880 à nos jours. Ce travail ambitieux esquisse une histoire et une géographie mondiales du pouvoir économique.

Une base de données révélatrice

Les chercheurs Gastón Nievas et Thomas Piketty ont récemment publié une nouvelle base de données qui reconstruit la balance des paiements – ce document comptable retraçant les échanges d’un pays avec l’étranger – sur plus de deux siècles, de 1800 à nos jours. Leur étude se concentre principalement sur ce que les économistes appellent « le haut » de la balance, englobant les échanges de biens, de services, de revenus d’investissement, ainsi que les transferts des diasporas et l’aide au développement.

Il est essentiel de noter que, comme souvent avec les balances des paiements, les données présentées sont fragiles. En théorie, chaque exportation d’un pays devrait correspondre à une importation identique d’un autre pays. Toutefois, les chiffres ne concordent pas toujours, certains pays déclarant mieux que d’autres, en particulier concernant les importations. Par conséquent, une part des transactions reste régulièrement non comptabilisée. Ces dernières années, le manque à gagner dans la balance mondiale des paiements a atteint environ 4 % du PIB mondial.

Le temps des puissances coloniales

Les données révèlent des ordres de grandeur saisissants. Avant la Première Guerre mondiale, les créances détenues par les pays européens sur le reste du monde, principalement par la Grande-Bretagne, atteignaient un niveau historiquement exceptionnel. Elles représentaient environ 34 % du PIB mondial, avec 17 % pour la Grande-Bretagne, 10 % pour la France, 5 % pour l’Allemagne, et moins de 2 % pour les Pays-Bas. En comparaison, l’Asie de l’Est représentait 11 % du PIB mondial et le Proche et Moyen-Orient 4 % en 2025.

Fait contre-intuitif : ces puissances coloniales n’étaient pas excédentaires dans leurs échanges de marchandises. Au contraire, elles affichaient des déficits commerciaux significatifs, en raison de l’importance des importations alimentaires et du fait que leurs achats de matières premières surpasaient leurs exportations de biens manufacturés.

Des excédents grâce aux revenus extérieurs

Ce déséquilibre n’a pas empêché l’Europe de dégager d’importants excédents courants grâce à ses revenus extérieurs. Entre 1800 et 1914, les flux de dividendes, d’intérêts, de redevances et de profits en provenance du reste du monde ont atteint des niveaux sans précédent. À la veille de la Première Guerre mondiale, la Grande-Bretagne percevait chaque année l’équivalent d’environ 10 à 11 % de son PIB en revenus extérieurs nets, contre 5 à 6 % pour la France, 3 à 4 % pour l’Allemagne et 6 à 7 % pour les Pays-Bas.

La mondialisation comme histoire de rentes

En examinant la longue durée, on constate que le capitalisme contemporain est également structuré par la mondialisation financière. Avant le premier conflit mondial, les revenus issus des investissements internationaux représentaient environ 2 % du PIB global. Après une contraction notable entre les deux guerres, ces revenus ont commencé à croître à partir des années 1950-1960, malgré des contrôles stricts sur les mouvements de capitaux.

A partir des années 1970, avec la fin du système de Bretton Woods, les flux financiers ont explosé : les vagues de libéralisation financière dans les années 1980-1990, suivies de la spéculation sur les subprimes à la fin des années 1990, ont propulsé les revenus financiers mondiaux à près de 9 % du PIB mondial avant la crise de 2007. Bien que cette crise ait entraîné un repli, les revenus de la mondialisation financière sont restés à un niveau élevé, légèrement inférieur à 7 % du PIB.

Nievas et Piketty soulignent que la mondialisation n’est pas seulement une question de conteneurs ou de chaînes logistiques, mais également une histoire de rentes. En retraçant plus de deux siècles de flux économiques, ils mettent en évidence une géographie mondiale complexe du pouvoir économique, où l’Europe impériale a cédé la place à de nouveaux acteurs dominants : les gestionnaires d’actifs américains et les fonds souverains du Golfe et d’Asie.

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