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Dans la petite ville de Kafr Hamam, au sud du Liban, le souvenir brutal d’une attaque aérienne israélienne persiste dans la mémoire collective et individuelle. Ce matin-là, un missile a brisé le calme, laissant des cicatrices profondes chez ceux qui l’ont vécu, notamment chez Iftikar Atiya, dont la vie a basculé à jamais.
Iftikar se rappelle : « Vers dix heures du matin, nous étions à la maison, ma mère, ma sœur et moi. Soudain, le bruit de l’explosion nous a frappés sans prévenir. Nous avons tous été blessés. Depuis ce jour, tout a changé. La vie s’est divisée en un avant et un après l’attaque ».
Le traumatisme s’est infiltré dans son quotidien. Le moindre bruit – un coup à la porte, le passage d’une voiture – peut la replonger dans l’horreur du bombardement. « Si j’entends un son, je panique, je ressens que l’attaque recommence », confie-t-elle, la voix chargée d’émotion.
Des blessures qui ne guérissent pas
Cette attaque n’était pas la première épreuve pour Iftikar. Vingt jours avant le début de l’offensive israélienne, elle avait perdu son père. Son frère a été tué il y a 36 ans. « Les blessures s’accumulent dans ma mémoire, d’autres saignent encore chaque jour », dit-elle avec tristesse.
Elle est pourtant revenue dans sa maison endommagée pour la reconstruire, pierre par pierre, comme beaucoup dans le sud du Liban qui espèrent ainsi réparer ce qui fut brisé. Mais elle sait que rebâtir les murs est plus aisé que retrouver la paix intérieure.
« Nous vivons dans la peur constante, ce n’est pas un moment passager mais une souffrance quotidienne », explique-t-elle, évoquant des blessures invisibles qu’elle appelle ses « fractures internes ». L’insécurité l’accompagne chaque instant, même dans ce qui devrait être un refuge, et le sommeil s’est fait rare.
Elle décrit des épisodes de pleurs, d’oubli, de confusion. Son regard sur le monde a changé, tout comme sa voix. Malgré un accompagnement psychologique, elle ressent que cela ne suffit pas. « Peut-être qu’il me faudra un long temps ou un miracle pour retrouver un peu de moi-même ».
Au milieu de cette douleur, elle garde une lueur d’espoir : « Je prie pour qu’un jour vienne une génération qui n’aura pas à voir l’horreur et la peur que nous avons vécues. » Elle mêle gratitude et résignation, consciente d’une « bénédiction » de rester en vie et indemne physiquement, mais aussi du goût amer que la vie a perdu.
Des décombres à l’intérieur
Nabil Issa, 45 ans, originaire de la ville d’Aytaroun, n’a pas eu le temps de faire ses adieux à sa maison avant que les bombardements ne la réduisent en ruines. Bien que physiquement indemne et entouré de sa famille, il se sent profondément marqué.
« J’ai l’impression que mon ouïe a changé, ce n’est pas mes oreilles qui sont atteintes, mais ma tête. J’entends les voix comme si elles étaient loin, comme s’il y avait un écart immense entre elles et moi », confie-t-il.
Le silence, pire que le bruit, lui fait craindre une nouvelle attaque. « Le calme m’effraie plus que le tumulte. Quand les sons disparaissent, j’ai l’impression que c’est le prélude d’un autre missile. »
Depuis la fin des bombardements, Nabil est devenu taciturne, souvent distrait. Sa famille a remarqué ce changement, mais il préfère taire ses émotions. « La guerre nous a appris à garder le silence, à porter nos douleurs dans le secret, car personne ne comprend vraiment la profondeur de ce qu’on endure. »
Son anxiété est constante, il ne supporte plus les nouvelles qui ravivent le passé. « Tout me ramène à ces jours : les sons, les analyses, les images. Je me sens encore prisonnier là-bas, incapable de m’en extirper. »
Récemment, conscient de l’ampleur de sa perte, il est retourné à Aytaroun pour voir les restes de sa maison. « J’ai essayé de ressentir quelque chose : tristesse, colère, nostalgie. Mais c’est le vide qui m’envahit, comme si mon cœur était enseveli sous les décombres. »
Il conclut avec un appel poignant : « Je ne demande pas grand-chose, juste une nuit sans entendre les bombardements, ou courir pieds nus dans la rue en cherchant mes enfants. » Puis il ajoute : « Nous pensions que la guerre s’achève avec la fin des missiles. Nous nous trompions : une autre guerre commence après le cessez-le-feu. »
Un soutien psychologique essentiel
Nawal Mahmoud, présidente de l’association « Hanaa pour le développement » au Liban, souligne l’importance cruciale du soutien psychologique pour les familles déplacées du sud du Liban, en particulier pour les enfants traumatisés.
L’association a mené plusieurs activités dans le cadre d’un programme de soutien psychologique et social destiné à aider les enfants et les familles à surmonter leur traumatisme et à s’adapter aux conditions difficiles du déplacement.
Selon Nawal Mahmoud, les crises psychologiques profondes, telles que la panique et la perte des proches, affectent non seulement la santé mentale mais aussi les relations sociales. Ces effets se manifestent par :
- une tendance à l’isolement social,
- des difficultés de communication,
- des troubles physiques comme les troubles du sommeil, des problèmes digestifs et des difficultés respiratoires.
Les activités de soutien ont contribué à renforcer la santé mentale des déplacés et des communautés d’accueil. Certains bénéficiaires sont même devenus des leaders et bénévoles au sein de l’association, apportant à leur tour un appui à d’autres et développant leur résilience face aux défis.
Pour Nawal Mahmoud, ces programmes doivent être intégrés dans les plans de reconstruction et de développement, car les traumatismes psychologiques, particulièrement chez les enfants et les personnes en situation de handicap, laissent des séquelles durables qui exigent une prise en compte sérieuse dans l’élaboration des politiques futures.
Elle insiste sur le rôle vital des actions de soutien psychologique pour aider les individus à s’adapter aux défis et à réussir leur reconstruction personnelle.