Le 25 mai, Olorato Mongale, une femme sud-africaine de 30 ans, est sortie avec un homme qu’elle venait de rencontrer. Moins de deux heures plus tard, elle était morte. Son corps à moitié nu a été retrouvé sur le bord de la route à Lombardy West, une banlieue au nord de Johannesburg, portant des marques de traumatismes et de contusions sévères. Les enquêteurs ont conclu qu’elle avait été assassinée ailleurs, puis abandonnée sur les lieux.
Ce meurtre brutal et absurde a suscité une vague de tristesse et d’indignation sur les réseaux sociaux. Quelques jours plus tard, un porte-parole de la famille a révélé que Mongale, étudiante en master à l’Université de Witwatersrand, avait jadis été journaliste. Elle avait quitté cette profession sept ans plus tôt, rongée par l’impact émotionnel des reportages sur la violence basée sur le genre et le féminicide (GBVF).
Sa famille a également confié que Mongale ressentait une anxiété croissante face à sa propre vulnérabilité à la violence masculine, hantée notamment par le meurtre en 2017 de Karabo Mokoena, 22 ans, poignardée par son ex-petit ami Sandile Mantsoe, qui avait incendié son corps et enterré les restes dans un terrain vague à Lyndhurst, non loin de l’endroit où le corps de Mongale a été retrouvé.
Malgré ses efforts conscients pour échapper au même destin, Mongale est devenue ce qu’elle redoutait le plus : une victime de plus sur la liste longue et croissante des femmes sud-africaines assassinées par des hommes.
Lors des funérailles le 1er juin, sa mère, Keabetswe Mongale, a déclaré que sa fille s’était battue désespérément contre son agresseur : « Quand je l’ai vue à la morgue, j’ai vu qu’elle s’était défendue. Elle a combattu jusqu’à se casser les ongles », a-t-elle témoigné.
Cette mort dévastatrice rappelle cruellement que les femmes et les filles en Afrique du Sud continuent de faire face à une menace existentielle liée à la violence basée sur le genre, malgré des années de promesses gouvernementales et de réformes.
Le 24 mai 2024, le président Cyril Ramaphosa a promulgué une loi créant le Conseil National sur la Violence Basée sur le Genre et le Féminicide. Ce nouvel organe a pour mission de diriger et coordonner la lutte contre cette violence, mais il ne marque pas une véritable rupture politique.
Ce n’est pas la première initiative de ce type. En 2012, le vice-président Kgalema Motlanthe avait lancé un Conseil national similaire, avec un mandat comparable. Pourtant, plus d’une décennie plus tard, malgré ces structures, les crimes liés à la violence basée sur le genre persistent.
En novembre 2023, le Conseil de la recherche en sciences humaines (HSRC) d’Afrique du Sud a publié la première étude nationale sur le sujet, soulignant que ce fléau est enraciné dans des normes sociales profondément ancrées qui perpétuent la domination masculine et renforcent les hiérarchies de genre, conduisant à la subordination féminine, aux inégalités systémiques et à la violence.
Les conséquences destructrices d’un patriarcat bien implanté sont indéniables : en Afrique du Sud, une femme est assassinée toutes les trois heures, soit environ huit par jour. Une étude estime que près de 7,8 millions de femmes ont subi des violences physiques ou sexuelles.
Si toutes les femmes sont affectées, les femmes noires subissent des taux de violences plus élevés, héritage persistant de l’apartheid et de ses inégalités structurelles.
Cette crise ne se limite pas à l’Afrique du Sud. La terreur que vivent les femmes et les filles est un phénomène continental.
Le rapport des Nations Unies publié en novembre 2024, intitulé Féminicides en 2023 : Estimations mondiales des féminicides liés aux partenaires ou membres de la famille, révèle que l’Afrique affiche le taux mondial le plus élevé de féminicides commis par des partenaires.
Le Kenya se distingue par ses chiffres alarmants : entre septembre 2023 et décembre 2024, plus de 7 100 cas de violences sexuelles et basées sur le genre ont été recensés. Parmi eux, au moins 100 femmes ont été assassinées par des hommes de leur entourage proche en seulement quatre mois.
Parmi les victimes, Rebecca Cheptegei, une olympienne ougandaise et mère de deux enfants, qui avait participé au marathon des Jeux de Paris 2024. Le 5 septembre 2024, elle est morte à Eldoret, au Kenya, gravement brûlée après qu’un ex-partenaire l’a aspergée d’essence et y a mis le feu lors d’une dispute domestique. L’agresseur est lui-même décédé des suites de ses blessures à l’hôpital.
Le gouvernement kényan a par la suite reconnu que la violence basée sur le genre était la principale menace pour la sécurité nationale, un pas tardif mais essentiel.
Le 26 mai, la Commission nationale pour l’égalité des sexes du Kenya a souligné que cette flambée de violences résulte d’une combinaison complexe de facteurs culturels, sociaux, économiques et juridiques. Les traditions patriarcales alimentent toujours les inégalités et légitiment la violence, tandis que des pratiques nocives telles que le mariage forcé, l’excision et les violences liées à la dot mettent davantage en danger la vie des femmes. La précarité économique et la dépendance financière des femmes exacerbent leur vulnérabilité.
Sur l’ensemble du continent, on observe une résurgence inquiétante de normes patriarcales archaïques.
Les confinements liés à la COVID-19 en 2020 ont révélé l’ampleur de la crise. Depuis, de nombreuses campagnes de changement comportemental ont été lancées, mais elles ont majoritairement échoué.
Selon les données d’Afrobaromètre de novembre 2023, près de 48 % des Africains considèrent la violence domestique comme une affaire privée et non un délit. Cette réalité dérangeante illustre que de nombreux hommes africains, indépendamment de leur niveau d’éducation ou de leur statut économique, ne considèrent pas la sécurité et les droits des femmes comme une priorité.
Lors de la Journée internationale des femmes l’an dernier, Siya Kolisi, capitaine de l’équipe sud-africaine de rugby, avait résumé la situation : « Les hommes n’en font pas assez. »
En effet, beaucoup continuent de perpétuer des coutumes néfastes comme le mariage d’enfants et restent désengagés dans la protection des femmes. Des années de rhétorique creuse ont conduit à un bilan humain effarant.
Il est temps que les hommes africains prennent pleinement conscience de cette crise et s’engagent dans un changement radical.
Ils doivent rejeter les pratiques culturelles et les idéaux masculins qui déshumanisent les femmes. Les cultures africaines ne sont pas immuables, et le patriarcat n’est pas une fatalité. Un nouveau modèle d’« africanité » égalitaire doit émerger, fondé sur la dignité, l’égalité et la non-violence.
Ce changement culturel doit commencer dans les familles et se renforcer à travers les écoles, les forums religieux et traditionnels, ainsi que la vie communautaire.
Cela doit se faire pour Olorato Mongale, pour Rebecca Cheptegei, pour les milliers d’autres dont la vie a été volée.
Et surtout, cela doit arriver pour les femmes et filles à travers l’Afrique qui vivent chaque jour avec la peur que leur plus grande menace vienne des hommes les plus proches.
Il ne peut y avoir de futur africain juste tant que la masculinité africaine ne sera pas transformée.