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Les start-ups ont souvent l’image de success stories flamboyantes, mais certaines histoires se terminent dans l’amertume. Des entrepreneurs, après avoir levé des millions et fait briller leur entreprise, se retrouvent sans rien après une revente. Ce phénomène, bien que moins médiatisé que les succès éclatants, mérite d’être exploré.
Derrière les millions, des chèques à 0 euro
En 2024, la start-up française BeReal est rachetée par Voodoo pour 500 millions d’euros. Une des plus grosses sorties tech françaises de ces dernières années. Pourtant, « les fondateurs ont touché moins de 1% du montant annoncé », affirme Guillaume Moubeche, CEO de Lemlist et business angel. L’opération, très orientée actions, incluait un earn-out exigeant (paiement différé lié à la performance) et peu de liquidités immédiates pour des fondateurs qui s’étaient déjà largement dilués au fil des levées de fonds successives.
Une désillusion similaire touche Théo Dorp, cofondateur de Crème de la Crème. Malgré une revente à plus de 10 millions d’euros, il a perçu… 15 000 euros. « Là où j’aurais dû en toucher environ 300 000 euros », écrit-il dans un post devenu viral sur LinkedIn. En cause ? La clause de liquidation préférentielle, qui a donné la priorité aux investisseurs lors de la redistribution du prix de vente. « Il faut le savoir, ça existe, et c’est le cas ici », souligne-t-il, évoquant la frustration de nombreux collaborateurs.
Une mécanique qui favorise les investisseurs
La liquidation préférentielle est intégrée dans les levées de fonds. Elle garantit aux investisseurs de récupérer leur mise, parfois plusieurs fois, avant que les fondateurs ou salariés ne puissent toucher quoi que ce soit lors d’une vente. « C’est une clause de protection historique, héritée des pratiques américaines », explique Paul Jourdan-Nayrac, avocat spécialisé dans les opérations de venture capital.
Il existe plusieurs niveaux de liquidation préférentielle : la clause dite 1x non participating est la plus courante. L’investisseur récupère une fois sa mise si la société est revendue à une valorisation inférieure à la valorisation d’entrée, pas plus. En revanche, si la cession est réalisée à un prix supérieur, cette clause n’est pas exercée, et l’investisseur perçoit comme tous les autres actionnaires son prorata du prix de cession. Certaines levées comportent des clauses plus agressives telles que 2x ou 3x, voire des clauses dites participating, où l’investisseur touche à la fois sa mise initiale et une part proportionnelle du reste des produits de cession.
Lever, dépenser, recommencer… et se brûler
Ce système entretient une spirale risquée. « Lever des fonds, c’est comme s’injecter des stéroïdes dans le sport : on grossit vite, mais on fragilise tout le corps », estime Thierry Vignal, ancien CEO de la proptech Masteos. Il reconnait avoir été séduit par le prestige social des levées. « Quand on vous demande en soirée combien vous avez levé, vous vous sentez quelqu’un », confie-t-il.
Il dénonce également l’illusion du cash-out, cette possibilité de revendre une partie de ses actions avant la sortie. « En réalité, c’est inaccessible pour un primo-entrepreneur. Le VC n’a aucun intérêt à voir le fondateur encaisser trop tôt », souligne-t-il. Enfin, il met en garde contre les valorisations excessives, qui peuvent bloquer toute possibilité de revente.
Anticiper pour ne pas subir
Face à ces désillusions, certains entrepreneurs commencent à changer d’approche. Thierry Vignal, par exemple, a lancé Atom, une start-up dédiée à la réhabilitation de micrologements parisiens. « Cette fois, j’avance sans VC. J’ai levé juste de quoi payer les salaires jusqu’à la rentabilité », partage-t-il.
Pour éviter de reproduire les erreurs passées, il est crucial de lire en détail les clauses de chaque levée et de se faire accompagner dès le premier tour. Paul Jourdan-Nayrac recommande de négocier, quand c’est possible, un schéma dans lequel un pourcentage du prix de vente est réparti en priorité à tous les actionnaires avant application des préférences. Cela permet aux fondateurs de percevoir une partie, même faible, des produits de cession afin de récompenser leurs années de travail.