Home ActualitéRestitution du tambour ivoirien : la France face à son héritage colonial

Restitution du tambour ivoirien : la France face à son héritage colonial

by charles
France, Côte d’Ivoire

Le débat autour de la restitution du tambour de parole ivoirien, un instrument sacré de forte valeur historique et culturelle, s’intensifie en France. Mesurant trois mètres de long pour un poids de 430 kg, cet instrument traditionnel était utilisé par la communauté ébrié pour transmettre des messages essentiels lors de cérémonies, alerter en cas de recrutement forcé ou d’enrôlement militaire, et assurer la cohésion sociale. Sa saisie par les autorités coloniales en 1916, puis son envoi en France en 1929 où il fut exposé au musée du Trocadéro puis au Quai Branly, symbolisent une période de dépossession pour la communauté ivoirienne.

le tambour de parole ivoirien

Après une restauration réussie en 2022, l’instrument demeure conservé dans une caisse, attendant son éventuel retour en Côte d’Ivoire. La demande de restitution formulée par Abidjan en 2019 s’inscrit dans une volonté plus large de réappropriation du patrimoine culturel africain, notamment la liste initiale de 148 œuvres revendiquées par la Côte d’Ivoire. Selon Serge Alain Nhiang’O, cette restitution pourrait devenir un symbole fort de reconnaissance et de réparation pour le peuple ivoirien, rappelant la longue histoire de spoliation durant la colonisation.

Un processus législatif en debate

La proposition de loi visant à autoriser cette restitution est en cours d’examen à l’Assemblée nationale, déjà adoptée fin avril par le Sénat. Elle prévoit notamment de déclassercet objet du patrimoine national, en dérogeant au principe d’inaliénabilité des collections publiques, afin de faciliter son retour. Pour certains acteurs, comme le député Bertrand Sorre, cette initiative marque un acte de réparation face à une histoire coloniale qu’il estime nécessaire de reconnaître. Cependant, la France, considérée comme à la traîne par rapport à d’autres pays européens tels que l’Allemagne, accuse un retard dans la restitution de ses œuvres coloniales. Seules 27 œuvres ont été officiellement restituées depuis la loi de décembre 2020, qui prévoit notamment le retour des trésors d’Abomey au Bénin ou du sabre d’El Hadj Omar au Sénégal.

Les enjeux et les obstacles

Le principal obstacle reste la lenteur et le manque de cadre clair pour ces restitutions. La France n’a pas encore adopté de loi-cadre spécifique pour les objets pillés durant la colonisation, contrairement à d’autres pays qui ont mis en place des processus plus avancés. La loi de 2023 concernant la restitution d’objets spoliés durant la Seconde Guerre mondiale ou la gestion des restes humains issus des collections publiques montre une volonté d’avancer, mais le projet de législation pour les œuvres coloniales est toujours en suspens. Un rapport révélé par Le Monde indique que le Conseil d’État estime que la restitution doit répondre à un intérêt général supérieur, motif jugé insuffisant pour justifier une dérogation à l’inaliénabilité. L’administration française redoute ainsi de faire de cette restitution un geste de repentance, ce qui pourrait compliquer le processus.

Selon certains spécialistes, comme Saskia Cousin, cette rétention ne serait pas dû à un refus de restituer, mais à une difficulté à repenser la perception de l’histoire coloniale en France. La ministre de la Culture, Rachida Dati, a confirmé l’intention de présenter une nouvelle version de la loi d’ici la fin juillet, espérant un débat parlementaire d’ici la fin de l’année. La volonté d’accélérer ce processus demeure, mais le chemin reste parsemé d’incertitudes.

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