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La critique de la société de consommation a une longue histoire. Pour comprendre comment nous avons atteint les niveaux actuels de surconsommation, notamment avec l’obsolescence programmée et la fast fashion, il est essentiel de remonter aux origines des modes de production capitalistes, qui reposent sur une disponibilité abondante d’hydrocarbures.
Sophie Dubuisson-Quellier, sociologue
Directrice de recherche au CNRS et membre du Haut Conseil pour le climat, Sophie Dubuisson-Quellier explique comment la vie sociale est aujourd’hui organisée autour d’une consommation fréquente. Elle estime qu’il faut repenser profondément les modes de production pour atteindre la sobriété, en s’appuyant sur des régulations publiques.
A partir de quand peut-on dater notre tendance à la surconsommation ?
Selon Sophie Dubuisson-Quellier, la notion de surconsommation est normative et résulte d’une critique de la société de consommation, qui existe depuis le XVIIIe siècle, comme l’indique l’historienne Marie-Emmanuelle Chessel, mais qui s’est intensifiée au XIXe siècle. Ces critiques concernent la nature des produits, leurs modes de fabrication, ou encore les impacts écologiques de la consommation excessive.
Dans les années 1960, alors que les Trente Glorieuses étaient en plein essor, des intellectuels comme le sociologue Jean Baudrillard qualifiaient la société de consommation d’illusion. Aujourd’hui, les enjeux environnementaux dominent le débat public.
Un régime de consommation fondé sur les hydrocarbures
Dubuisson-Quellier souligne que l’histoire de la consommation de masse, visant à toucher le plus grand nombre, est intimement liée à la production de masse aux États-Unis, début XXe siècle, grâce à l’accroissement de la disponibilité des sources énergétiques fossiles. Cette hausse de productivité a entraîné une augmentation des volumes de produits, nécessitant des débouchés pour écouler les surplus.
Le marketing, né dans les départements d’agronomie des universités du Midwest, a été conçu pour écouler ces surplus agricoles. Les constructeurs automobiles ont commencé à valoriser la nouveauté en lançant chaque année de nouveaux modèles, créant ainsi une stratification sociale et un marché de l’occasion.
Techniques pour stimuler la consommation
À cette époque, d’autres méthodes pour accroître la demande solvable ont été mises en œuvre, notamment l’accès au crédit facilité par des politiques publiques. L’essor des matières plastiques, à bas coût grâce aux hydrocarbures, a également permis d’augmenter les volumes produits tout en réduisant les coûts.
« La consommation ne s’étend pas par un mécanisme propre, mais grâce aux techniques marchandes développées par les entreprises avec le soutien des pouvoirs publics. »
Obsolescence programmée et fast fashion
Face à une demande déjà saturée dans les pays du Nord, des stratégies telles que l’obsolescence programmée ont été mises en place. Cette technique, souvent attribuée aux années 1930 avec les ampoules, vise à faire perdre de la valeur aux produits pour inciter à l’achat de nouveautés.
« Ces techniques marchandes qui valorisent la nouveauté construisent les valeurs sociales de la consommation en alimentant les aspirations de chacun à participer à la société. »
Encouragement des pouvoirs publics
Les pouvoirs publics encouragent ces modes de production et de consommation, car les indicateurs macroéconomiques lient performance économique à des niveaux élevés de production. Des politiques telles que l’accès à la propriété dans les années 1980 ou les primes à la casse pour renouveler le parc automobile ont illustré cette tendance.
Vers une régulation de la consommation
Récemment, des initiatives comme l’indice de durabilité pour les équipements électroménagers ont été mises en place pour tenter de réguler la fast fashion. Cependant, Dubuisson-Quellier souligne que dans un système où les économies dépendent de ces niveaux de production, la régulation reste complexe.
« Dans un système où les pouvoirs publics ne peuvent pas décourager ces niveaux de production, la régulation est compliquée. »
Défis de la consommation citoyenne
Les initiatives de consommation responsable présentent des limites. Bien qu’elles soient valorisées, elles sont souvent plus coûteuses et donc moins accessibles. Dubuisson-Quellier appelle à une réflexion plus large sur la régulation de la production plutôt que sur la seule consommation.
« Si l’on considère que certains produits posent des problèmes pour la collectivité, pourquoi ne pas réguler leur production plutôt qu’en décourager la consommation ? »
Vers une croissance repensée
Enfin, la sociologue souligne la nécessité de dépasser les débats passionnés autour de la croissance. Les modèles macroéconomiques actuels, qui privilégient la production et la consommation, doivent évoluer pour intégrer des considérations écologiques et une approche plus durable des ressources.