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L’omegaverse, sous‑genre du manga et du boy’s love (yaoi), gagne en visibilité en France et suscite débats et controverses, notamment autour de ses codes narratifs, de la représentation du consentement et de son caractère parfois explicitement érotique.
L’omegaverse : origines sur LiveJournal et diffusion initiale
Le concept d’omegaverse ne naît pas dans le manga mais dans la fanfiction, au début des années 2010. Il prend racine autour d’un challenge d’écriture organisé en juillet 2010 sur la plateforme LiveJournal, où une autrice réaffecte des personnages en rôles d’Alpha et d’Omega, calqués sur une hiérarchie supposée observée chez certains animaux vivants en meute. Le phénomène s’est rapidement structuré en codes et communautés à partir de 2013.
Dans ces récits, qu’il s’agisse de fanfictions ou d’œuvres originales, le monde est souvent conçu comme une société hiérarchisée par production de phéromones : les alpha, minoritaires, occupent les positions dominantes ; les bêtas forment la majorité ; les omegas, souvent dominés, portent les enfants et traversent des périodes de « chaleurs » qui attirent les autres individus. Certains récits introduisent aussi la caste des « enigma », censée dominer les autres.
Le cadre narratif transposé d’un système de castes et d’une dynamique de meute permet d’explorer des relations intimes, la reproduction et des rapports de domination dans des récits souvent intenses et parfois explicitement érotiques.
Du web aux étagères françaises : publications et titres depuis 2017
Les récits omegaverse ont quitté le cercle restreint des fanfictions pour gagner une large audience en Corée, en Chine et au Japon, puis se sont imposés dans le domaine du boy’s love. De nombreuses autrices issues des dojinshi ou du web ont contribué à populariser le genre, avec des webmangas comme Sayonara Koibito, Mata Kite Tomodachi ou Romance Pheromonale.
En France, la diffusion en librairie commence à s’affirmer dès 2017, d’abord de manière confidentielle avec des titres comme Yes – My Destiny, puis via des plateformes de lecture en ligne et des éditeurs spécialisés. Des œuvres issues de plateformes comme Piccoma et Delitoon ont été ensuite éditées sur papier. Parmi les séries suivies en librairie figurent Megumi and Tatsumi ou The Teijo Academy. Plus récemment, la série courte L’Omega du Palais est parue chez Hana Books le 6 août.
Les éditeurs spécialisés tels que Hana Books ou Taifu Comics représentent une part importante des publications françaises, en sélectionnant des titres ciblant un public averti et habitué aux codes du boy’s love et du yaoï.
Controverses en France et au Japon : consentement, stéréotypes et enjeux narratifs
Le sous‑genre divise. Certaines œuvres estampillées omegaverse sont destinées à un très large public, mais de nombreuses histoires sont clairement orientées vers une audience adulte et avertie. L’un des points de critique récurrents concerne la mise en scène d’une organisation sociale fondée sur la domination, parfois proche de codes BDSM, avec des questionnements sur le consentement et l’absence de avertissements explicites (« trigger warnings »).
Des observateurs et créateurs soulignent aussi que certains récits reproduisent, volontairement ou non, des stéréotypes machistes en transposant dans des romances homosexuelles des dynamiques relationnelles rétrogrades. C’est l’un des axes de critique développé par R. Horrigan dans un article sur Medium, qui évoque des « undertones » misogynes dans certains textes omegaverse.
Pour autant, le canevas omegaverse permet aussi d’aborder des thématiques sérieuses : violence domestique, organisation sociale et droits humains. Le chercheur Callum Hew Sarracino, de l’université de Sheffield, estime dans la revue East Asian Journal of Popular Culture que les mangas omegaverse sont progressivement devenus un véhicule narratif pour évoquer frontalement des problématiques réelles liées à la dynamique de couple au Japon.
Des autrices ont choisi de conserver certains fondamentaux du genre tout en s’éloignant de ses aspects les plus controversés afin de toucher un public plus large. La série Tadaima Okaeri – Bienvenue à la maison ! d’Ichi Ichikawa, récemment adaptée à l’écran sur Crunchyroll, s’inscrit par exemple dans une lecture centrée sur l’homoparentalité au Japon plutôt que sur des codes de domination purement fantasmés.
Le déploiement du phénomène en France, majoritairement via des éditeurs spécialisés, reflète la nécessité d’un positionnement éditorial attentif aux contenus adultes et aux attentes d’un lectorat sensible aux questions de représentation et d’éthique narrative.