Table of Contents
Amitié au cœur de son nouveau roman, Alice Ferney retrouve son terrain de prédilection — les sentiments — pour interroger la complexité du lien entre homme et femme dans Comme en amour (Actes Sud), en librairie le 20 août, offrant un exercice de style d’une grande finesse.
Amitié mise à l’épreuve dans Comme en amour
Vingt‑cinq ans après La conversation amoureuse, Alice Ferney reprend la métaphore des sentiments pour ausculter l’amitié entre un homme et une femme. Styliste reconnue, Marianne voit sa vie basculer lorsqu’elle rencontre Cyril, journaliste séduisant et désabusé, lors d’une interview. Entre eux, la connivence naît rapidement, se nourrissant de conversations quotidiennes et d’une familiarité qui finit par tisser une dépendance affective.
La romancière suit cet itinéraire en courts chapitres presque entièrement dialogués, retraçant la naissance puis la dégradation du lien. Le récit montre comment un rapport initial de séduction se transforme en une relation particulière, puis se fissure quand Julia, la nouvelle compagne de Cyril, entre en jeu. Les tensions naissent notamment autour du désir d’enfant : Julia en veut, Cyril n’en veut pas, et Marianne se retrouve entraînée malgré elle dans ce choix intime.
Style narratif, influences et mécanique des mots
Alice Ferney utilise la parole comme un instrument central du récit. Là où le dialogue avait été le ciment de la relation, il devient progressivement outil de domination et de manipulation, précipitant la désagrégation de l’amitié. La romancière met ainsi en évidence « la matière de l’affinité », explorant les ravissements et les failles d’un lien aux frontières parfois élastiques.
Le procédé rappelle, par certains aspects, le travail de Philip Roth dans Tromperie : Ferney, comme Roth, construit sa fiction à partir d’échanges — ici pour sonder « tout ce qui rend adultérin l’adultère » selon la formule citée à propos de Roth — et pour capter les dissimulations, les récriminations et les non‑dits qui empoisonnent les rapports humains.
Au fil du roman, chaque personnage agit « pour de bonnes raisons », rendant difficile toute prise de parti nette. Tour à tour aiguillon ou victime, chacun contribue à rebattre les cartes d’une situation évoluant inexorablement vers la rupture.
Les lois de l’amitié et l’éthique du lien
Ferney propose une réflexion nette sur la nature de l’amitié : loin d’être un bloc indéformable, elle serait soumise à ses propres règles. « L’amitié fait moins de concessions que l’amour, elle n’a pas à accepter la trahison, la manipulation, elle est plus libre », écrit‑elle, suggérant qu’une certaine distance et l’acceptation de l’altérité sont nécessaires pour préserver le lien.
Marianne, initialement consolée et accompagnée par Cyril — « ce don d’alléger l’existence » — voit peu à peu sa loyauté mise à l’épreuve par des manipulations et de petites trahisons qui redéfinissent ses priorités. Le roman fait sentir combien l’intérêt sensuel, latent et souvent indicible, peut subsister dans l’amitié et compliquer la frontière avec l’amour.
Paru chez Actes Sud, Comme en amour compte 287 pages et est proposé au prix de 22 €.
Extrait significatif
« D’où vient le goût pour l’autre quand on ne le connaît pas ? D’un attrait qu’il exerce, une sorte de charme immédiat, diffus ou plus précis, presque toujours corporel (l’esprit lui-même habite le corps). En amitié aussi, l’intérêt sensuel joue un rôle, mais il reste latent, inavoué, et lorsque la réciprocité manque, se convertit en béguin secret. La camaraderie retient l’aveu que réclamerait l’amour. Il y a moins de symétrie entre les amis qu’entre les amants, moins d’expression aussi. En silence, camouflée, une invisible composante amoureuse peut persévérer dans l’amitié, l’inverse est plus rare : aucun amant n’aimerait être un ami, mais l’ami qui désire et se réfrène aimerait bien devenir un amant. Ami ou amant, il n’était encore ni l’un ni l’autre. » (p.25)