Table of Contents
Le dossier de la réforme des systèmes de retraite au Maroc refait surface face à la pression financière croissante sur les caisses. L’équilibre entre ressources et engagements devient difficile à maintenir, alimentant inquiétudes et tensions autour des ajustements possibles.
Le gouvernement présente un projet de réforme visant la durabilité financière des régimes, la protection du pacte social et la préservation de la compétitivité économique. Les syndicats, pour leur part, posent des « lignes rouges » et menacent d’entrer en conflit si les droits acquis des retraités sont atteints.
Lignes rouges et indicateurs financiers inquiétants
Les organisations syndicales rejettent toute mesure qui atteindrait le niveau des pensions ou relèverait l’âge légal de départ à la retraite. Le souvenir du précédent volet de réforme, qui avait suscité de fortes contestations, reste présent.
Une étude officielle a mis en évidence des signaux financiers préoccupants dans plusieurs caisses de retraite principales. Parmi les constats :
- Un déficit technique de 7,2 milliards de dirhams pour le régime des pensions civiles (Caisse Marocaine des Retraites) en 2024, malgré la hausse des cotisations et prestations.
- Une baisse des réserves de 7,1 % par rapport à 2023.
- Un déficit cumulatif depuis 2014 estimé à environ 60,3 milliards de dirhams, dont la moitié au cours des cinq dernières années.
- Un excédent de 1,2 milliard de dirhams pour le régime des pensions des établissements publics et collectivités territoriales.
- Un excédent de 4 milliards de dirhams pour la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (secteur privé) en 2024, malgré des problèmes de tarification.
- Un excédent de 8,2 milliards de dirhams pour la Caisse Marocaine des Retraites Professionnelles (régime complémentaire).
- Une croissance moyenne des fonds limitée à 1,2 % par an sur cinq ans, révélatrice de la fragilité de l’équilibre financier et des risques pour la pérennité.

Ces chiffres mettent en évidence la nécessité d’un diagnostic approfondi avant toute mesure, afin d’éviter des décisions qui pèseraient injustement sur les retraités ou les actifs.
Racines de la crise
Les réformes menées en 2016 et 2021 visaient à corriger des déséquilibres accumulés par des années de mauvaise gestion. Toutefois, plusieurs experts estiment que ces ajustements ont été exclusivement « normatifs » — modification de paramètres comme l’âge de départ ou le taux de cotisation — sans refonder le modèle de financement.
Selon la chercheuse en protection sociale Asmae Anbari, cela a permis de retarder l’épuisement des réserves sans traiter la dette implicite constituée par les engagements futurs du système. Le problème financier demeure donc sous-jacent.
L’analyste économique Mohamed Jedrri souligne que les mesures prises ont simplement repoussé le déficit prévu de 2022 à 2028, sans apporter de solutions structurelles. Il évoque des pertes quotidiennes pour l’État chiffrées en millions de dirhams, liées à une gouvernance défaillante et à l’absence d’investissements productifs à rendement élevé.

Jedrri attire également l’attention sur les contraintes juridiques qui limitent la liberté d’investissement, notamment pour la CNSS, dont les fonds sont souvent placés à faible rendement dans des véhicules comme le Fonds de Dépôt et de Gestion (rendement autour de 3 %).
Du côté politique, le chef du gouvernement a rappelé la nécessité d’une réforme urgente pour garantir la stabilité financière et protéger les droits des retraités tout en préservant la paix sociale. La ministre de l’Économie et des Finances a insisté sur l’importance d’un équilibre entre ambitions financières et exigences sociales.
En revanche, des membres des instances de gouvernance des caisses, comme Mohamed Bouzekri, affirment ne pas avoir été informés des conclusions des réunions et s’interrogent sur la volonté réelle d’engager une réforme ambitieuse avant la fin de la mandature.

Les représentants syndicaux rejettent, pour leur part, l’idée de faire porter le coût de la crise aux travailleurs, estimant que les déséquilibres sont le résultat de mauvaises politiques publiques plutôt que de la responsabilité des cotisants.
Solutions envisagées
Plusieurs pistes sont à l’étude. Une proposition antérieure suggérait la création d’un nouveau système à deux pôles, l’augmentation des cotisations salariales et patronales, la plafonnement des pensions et le calcul du salaire de référence sur l’ensemble de la carrière au lieu des dernières huit années.
Parmi les options débattues :
- Réformes « normatives » : relever l’âge de départ, augmenter les taux de cotisation ou réduire les pensions.
- Réformes structurelles : repenser le mécanisme de financement, migrer vers des formules par capitalisation ou des modèles hybrides, ou lier les pensions à des paramètres comme l’espérance de vie et le salaire moyen.
- Mesures fiscales et de gouvernance : alléger la charge fiscale sur les salariés, améliorer la gouvernance et la transparence de la gestion des fonds, et diversifier les investissements vers des projets à forte valeur ajoutée.
Les syndicats représentés dans le dialogue social (Union marocaine du travail, Union générale des travailleurs du Maroc, Confédération démocratique du travail) refusent toute atteinte aux droits acquis et réclament l’ouverture d’un dialogue social responsable pour négocier des solutions équitables.
Les experts insistent sur la prise en compte des métiers pénibles et sur la nécessité d’un choix politique éclairé, fondé sur des études approfondies du contexte économique et démographique.
Le défi pour le Maroc consiste à combiner viabilité financière et justice sociale afin d’aboutir à une réforme des retraites qui protège les retraités sans compromettre la compétitivité du pays.