À Silène, village du sud‑ouest de Riga, la militarisation des frontières illustre la préoccupation de la population : Lettonie, défense, Russie, OTAN, invasion, Baltique sont au cœur des débats publics alors que les autorités renforcent les moyens pour protéger le flanc est de l’Alliance.
Lettonie, défense, OTAN et menace russe dans le Baltique
À Silène, la route menant en Biélorussie est fermée depuis 2023. Des dizaines de protections antichars — dents de dragon et hérissons tchèques — rappellent que les quelque 440 km de frontière entre la Lettonie et ses deux voisins russe et biélorusse ont été fortement militarisés depuis l’invasion de la Russie en Ukraine. Ces obstacles constituent la partie visible d’un dispositif plus large : systèmes de surveillance de haute technologie, moyens de guerre électronique, drones, fortifications et entrepôts de munitions et d’équipements sont prévus pour compléter la défense baltique dans les années à venir.
À moins de 20 km de là, Daugavpils, deuxième ville de Lettonie d’environ 100 000 habitants, vit des derniers jours d’été avec un rythme tranquille. Près de l’université, fréquentée par des étrangers souhaitant apprendre le russe, l’église orthodoxe Saint Alexandre Nevsky reçoit quelques fidèles. L’une d’elles, âgée de 65 ans et qui ne souhaite pas donner son nom, regrette que le conflit russo‑ukrainien lui interdise d’aller voir des membres de sa famille vivant en Biélorussie. Un rien nostalgique de l’époque soviétique — « où les médicaments étaient gratuits tout comme l’éducation, où la nourriture était simple mais bonne » — elle fustige la société capitaliste qui a fermé les industries de la région.
La Lettonie compte un tiers de russophones, une réalité sociale marquée par une crise économique poussant plusieurs jeunes diplômés à l’émigration vers l’Europe de l’Ouest. Renats, 17 ans, envisage de travailler à l’étranger : « Il y a plus d’opportunités si l’on souhaite trouver un emploi qualifié. » Avec trois amis, il parcourt le centre de Daugavpils ; le quatuor espère la fin de la guerre, qui a tari le flux de touristes russes et contribué à une inflation pesant sur le pouvoir d’achat. Mais, prévient‑il, « s’il le faut, ils sont prêts à défendre leur pays dont l’indépendance ne date que de 1991 après une longue occupation soviétique. »
Au musée de Riga qui retrace l’histoire lettone depuis le pacte germano‑soviétique jusqu’à la libération du joug moscovite, on affiche « une histoire sans réécriture et sans occulter les périodes compliquées durant lesquelles des Lettons ont participé à la Shoah par balle ou furent des affidés du KGB », résume Dzintra Bungs. Cette historienne affirme que les habitants font confiance à l’Otan, qui a déployé en Lettonie l’équivalent d’une brigade commandée par le Canada. « C’est bien pour cela que nous n’avons pas peur ! Mais nous sommes conscients de cette Russie à l’impérialiste expansionniste. »
Une fonctionnaire d’État, qui souhaite garder l’anonymat, souligne la solidarité au sein de la société : « On ressent une vraie solidarité dans la société et s’il faut défendre notre pays, nous sommes prêts. » Elle ajoute : « Des jeunes rejoignent l’armée ou la garde nationale et notre budget consacré à la Défense doit atteindre les 5 % du PIB. »
Janis Kazocins: analyse des risques et guerre hybride
Le général Janis Kazocins, ancien officier britannique devenu Letton en 2003 et ancien directeur de l’agence de renseignement nationale, relativise la probabilité d’une attaque militaire conventionnelle contre les États baltes. Il estime toutefois que la menace se déplace vers des formes de conflit plus insidieuses.
« Il y a aujourd’hui très peu de chances qu’il y ait une attaque militaire contre les États baltes ou la Finlande parce que si la Russie avait les forces nécessaires pour mener cette attaque, elle les utiliserait d’abord pour s’emparer entièrement du Donbass. Par ailleurs, l’adhésion des États baltes à l’Alliance Atlantique et à l’Union européenne signifie que nous ne sommes pas seuls. Il y a en Estonie, en Lettonie et en Lituanie, des forces de l’Otan. En Lettonie, la nation cadre est le Canada et l’Otan y déploie l’équivalent d’une brigade, située à Ardaši non loin de Riga. »
Le général insiste néanmoins sur l’importance des conflits hybrides :
« Pour la Russie, la Lettonie est le plus intéressant des pays baltes. Car si vous la contrôlez économiquement, politiquement ou militairement, cela rend la position des deux autres États extrêmement fragile. C’est pourquoi nous devons nous intéresser aux autres formes de guerre plus insidieuses et qui n’obligent pas à une réaction des alliés de l’Otan. Comme la coupure de câbles sous-marins dans la mer Baltique. Que se passerait‑il si toutes nos infrastructures énergétiques étaient mises hors service en même temps ? Il n’y a, par exemple, que deux terminaux de GNL (gaz naturel liquéfié) dans les États baltes. Autre exemple : s’il n’y avait plus d’électricité, plus de communication ? Notre gouvernement ne pourrait plus s’adresser à la population. Nous devons nous préparer à ce genre de situation extrême. »
Le général évoque aussi la complexité de la perception russe au sein de la population russophone lettone et le dilemne stratégique de Moscou :
« Dans les trois à cinq prochaines années, le pouvoir russe va devoir prendre une décision : soit la Russie devient un état vassal de la Chine – car celle-ci accroît son influence non seulement dans l’Extrême-Orient russe, mais aussi en Asie centrale- soit elle abandonne ses idées impérialistes et parvient à un accord avec les Européens et les États‑Unis. »
Sur la relation entre langue, identité et service militaire, il observe : « Nous avons une proportion assez élevée de soldats issus de familles russophones. En 2014, la question de la Crimée n’était pas un sujet facile à aborder avec eux. Ils pensaient que ce territoire appartenait bien à la Russie et son invasion avait du sens. En 2022, en Ukraine, la Russie a notamment mené campagne dans des régions russophones comme à Marioupol et la population a énormément souffert. Et c’est cela que les Lettons russophones trouvent très difficile à comprendre : d’un côté, Poutine dit »Nous appartenons tous à la même nation » et de l’autre il n’hésite pas à massacrer ces gens-là. »