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L’accord gazier géant entre Israël et l’Égypte, estimé à environ 35 milliards de dollars et s’étendant jusqu’en 2040, devait renforcer la coopération énergétique entre les deux pays.
Or, selon plusieurs observateurs, ce contrat n’a pas rempli son objectif économique et s’est mué en un nouvel élément de tension politique.
Des responsables israéliens cherchent aujourd’hui à exploiter ce dossier comme levier pour faire pression sur Le Caire afin qu’il accepte le déplacement de Palestiniens vers la péninsule du Sinaï, proposition que l’Égypte rejette catégoriquement.
Arrêts répétés des livraisons et conséquences
Les livraisons de gaz israélien vers l’Égypte ont été suspendues à plusieurs reprises depuis le lancement de l’accord, ce qui a fragilisé des industries égyptiennes dépendantes du combustible.
- Dernier épisode notable : en juin dernier, durant un conflit de douze jours entre Israël et l’Iran, la production du champ Léviathan a été temporairement arrêtée par crainte d’attaques, affectant immédiatement des usines égyptiennes.
- Ces interruptions ont entraîné la mise à l’arrêt d’usines de ciment, d’engrais et d’autres industries énergivores, aggravant les conséquences économiques locales.
- Pour absorber les volumes supplémentaires promis jusqu’en 2040, Le Caire a annoncé un investissement d’environ 400 millions de dollars pour relier un nouveau pipeline au réseau israélien, ce qui montre la complexité et l’interdépendance des infrastructures.
Le gaz comme instrument de pression politique
Des titres médiatiques israéliens et des déclarations publiques reflètent une volonté de revisiter l’accord sous l’égide du Premier ministre Benjamin Netanyahou, qui, selon la presse, exige son approbation personnelle pour poursuivre la mise en œuvre.
Les autorités israéliennes accusent par ailleurs l’Égypte d’avoir violé certaines dispositions en renforçant sa présence militaire dans le Sinaï après les évolutions du conflit à Gaza, ce qui a attisé les tensions diplomatiques.
- Des analystes estiment que Tel-Aviv voit dans l’accord une carte à jouer pour pousser Le Caire à accepter des solutions de relogement pour les Palestiniens en dehors de Gaza.
- L’Égypte, pour sa part, maintient un refus catégorique de tout transfert forcé de population et conditionne tout futur partenariat à des avancées concrètes sur la fin des hostilités et la reconstruction de Gaza.
Points de vue diplomatiques et alternatives proposées
Des voix égyptiennes recommandent de profiter de la crise pour rouvrir un débat national et parlementaire sur les bénéfices réels de l’accord gazier Israël-Égypte.
- Motaz Ahmadin, ancien représentant égyptien auprès de l’ONU, estime que le gel provisoire du contrat permettrait un examen plus large, notant l’incertitude autour des gains promis, dépendant notamment des prix futurs du gaz et de la demande européenne.
- Il suggère de lier toute coopération future au cessez-le-feu et à la reconstruction de Gaza, voire d’affecter une partie des revenus gaziers aux compensations et à la reconstruction.
- L’Égypte disposerait en outre d’alternatives régionales et nationales, notamment des approvisionnements potentiels depuis l’Arabie saoudite, le Qatar et l’Algérie, ainsi que des capacités de production intérieure.
Selon ce point de vue, des circonstances exceptionnelles autorisent Le Caire à ajuster le volume des exportations pour protéger la stabilité du marché intérieur.
Analyses économiques : contrats commerciaux et risques
Des économistes relativisent toutefois l’ampleur des risques. Ils rappellent que les accords gaziers relèvent principalement de contrats commerciaux entre entreprises privées et non d’obligations étatiques directes.
- Le chercheur Mohamed Fouad note que la société Chevron (qui détient environ 40 % du champ Léviathan) détient un pouvoir décisionnel significatif, et que toute annulation unilatérale par Israël pourrait entraîner des poursuites et des indemnisations coûteuses.
- En cas d’arrêt total des livraisons, l’Égypte est cependant en capacité de compenser via des importations de gaz naturel liquéfié (GNL), bien que cela puisse accroître le coût énergétique d’environ 3 milliards de dollars par an.
- L’infrastructure égyptienne permettrait l’usage de navires méthaniers pour regazéifier du GNL et l’injecter dans le réseau national, atténuant ainsi le risque d’une crise énergétique intérieure majeure.
Enjeux et perspectives
L’équation reste complexe : d’un côté des intérêts économiques considérables liés à l’accord gazier Israël-Égypte, de l’autre des pressions politiques croissantes alimentées par la guerre à Gaza et les tensions régionales.
L’avenir du contrat dépendra de l’équilibre entre ces forces — décisions commerciales des opérateurs internationaux, choix politiques de Tel-Aviv et du Caire, et évolutions du marché énergétique mondial.
Pour l’instant, le dossier illustre la fragilité d’une coopération énergétique transfrontalière exposée aux aléas politiques, et la manière dont le gaz peut devenir un levier dans les rapports de force régionaux.