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Philippe Boxho : La médecine légale entre vie et mort

by charles

Philippe Boxho, médecin légiste âgé de 59 ans et fort de 33 années de pratique, partage son parcours et bouscule les clichés entourant une profession souvent mal comprise. À travers ses réflexions, il éclaire le lien entre vivants et morts et nous aide à mieux appréhender la notion de mort.

Pourquoi êtes-vous devenu médecin légiste ?

Au départ, je voulais devenir médecin généraliste, car c’était une manière de soigner tout le monde sans distinction, en fonction de l’organe, et que c’était la profession la plus au contact des patients. Et voilà que je me retrouve dans une discipline qui paraît, paradoxalement, la plus éloignée du monde médical.

En quoi consiste votre métier ?

Il s’agit d’aller rechercher des éléments permettant de déterminer, sans parti pris, s’il s’agit d’une mort naturelle, suicidaire, accidentelle ou d’un homicide. En somme, c’est un « jeu » où l’on cherche des indices, un peu comme dans Cluedo, pour comprendre qui a tué, avec quel objet, dans quelle pièce. C’est un travail qui peut être très stimulant.

Vous ne voyez donc que des cadavres ?

Non ! La médecine légale n’est pas uniquement tournée vers le mort: elle concerne aussi des cas vivants, environ 60 à 80 % de l’activité. Des personnes ayant subi des agressions sexuelles ou physiques, ou d’autres situations, nécessitent des examens.

Pouvez-vous sauver des vies avec votre spécialité ?

Alors, pas directement. Mais j’ai une histoire à partager. Lors d’une conférence, une femme m’a dit : « Vous m’avez sauvé la vie, docteur. » Je lui ai répondu que je n’avais pas souvenir de l’avoir soignée. Elle a expliqué que la police pensait que j’avais causé la mort de son mari en le frappant au radiateur. Grâce à l’autopsie, il s’est avéré que la cause était un problème cardiaque lié à l’alcoolisme et non une blessure mise en scène par moi. « Eh oui, madame, ce n’est pas moi qui vous ai sauvé, c’est simplement la réalité des faits », ai-je ajouté, ce qui a provoqué l’éclat de rire général.

Et il y avait aussi le compagnon de la femme, que j’ai prévenu publiquement de se méfier des radiateurs. Cette anecdote illustre le fait que la médecine légale crée aussi du dialogue avec les vivants et peut clarifier des situations après les événements.

Quelles sont les parties les plus fastidieuses de votre métier ?

Pour moi, elles se résument à deux points. Le premier est le meurtre d’enfants, une réalité abominable qui touche à l’enfance et à la vie elle-même. Autopsier un enfant, c’est affronter l’idée qu’un être en début de vie puisse tout perdre en raison d’une maladie ou d’une intervention d’un tiers potentiel, ce qui est extrêmement difficile.

Le second est l’odeur de putréfaction. Cette odeur est redoutable et récurrente: elle s’invite au nez et, comme ces odeurs sont tenaces, on finit par les « goûter ». Certaines expériences marquent durablement, au point d’altérer des habitudes alimentaires, comme lorsque l’on goûte une viande maturée pour en comprendre l’évolution. C’est une sensation qui peut sembler presque irréelle et peser lourd dans la pratique.

Certains cadavres vous ont-ils empêché de dormir ?

Non, il n’y a jamais eu de mort qui m’ait traumatisé ou qui m’ait hanté au point de nourrir des cauchemars. Je parviens à faire la distinction entre mon travail et ma vie privée, et je sais séparer les deux. Le recours aux psychologues peut être utile, mais je n’en ai jamais eu besoin. À un moment donné, même lors d’interventions difficiles, j’ai accompagné des professionnels de santé dans des contextes complexes, sans que cela ne m’envahisse personnellement.

Par ailleurs, j’ai participé à des missions au Kosovo, notamment pour déterrer des charniers. Nous étions accompagnés d’un psychologue et c’est moi qui prenais en charge le soutien psychologique du praticien sur place.

Avez-vous peur de la mort ?

Ma peur n’est pas liée à la mort elle-même. Je n’ai pas envie d’être torturé, brûlé vivant ou noyé, mais ces considérations relèvent de scénarios que l’on préfère éviter. En revanche, la mort en tant que réalité universelle ne m’effraie pas: elle fait partie du cycle naturel, et il faut l’accepter sans chercher à la modifier.

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