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Après la chute de Kandahar et l’effondrement de l’ancien ordre afghan en 2021, l’Iran a joué un rôle ambigu dans le sort de nombreux combattants afghans. Selon les déclarations de l’ancien mufti d’Al-Qaïda, Cheikh Mahfouz Ould al-Walid, l’aide iranienne a été d’abord présentée comme humanitaire, puis a varié entre protection discrète, remises à des États tiers et arrestations massives. Un témoignage détaillé est disponible dans l’entretien diffusé sur le programme « مع تيسير » (https://www.aljazeera360.com/video/856453?playlistId=30174&seriesId=3127).
Un exil périlleux vers l’Iran
Après la chute de Kandahar, l’ancien mufti raconte avoir fui l’Afghanistan (https://www.aljazeera.net/encyclopedia/2014/10/29/%D8%A3%D9%81%D8%BA%D8%A7%D9%86%D8%B3%D8%AA%D8%A7%D9%86) et traversé le Pakistan (https://www.aljazeera.net/encyclopedia/2014/10/30/%D8%A8%D8%A7%D9%83%D8%B3%D8%AA%D8%A7%D9%86) avant d’atteindre l’Iran (https://www.aljazeera.net/encyclopedia/2014/10/18/%D8%A5%D9%8A%D8%B1%D8%A7%D9%86).
Le trajet s’est fait par étapes, grâce au réseau de passeurs, et n’a pas été sans dangers. À son arrivée dans la ville de Zahedan, proche de la frontière pakistanaise, il a été accueilli dans des mifsads (maisons d’hébergement) liées à des cercles proches des autorités religieuses et politiques.
Il a ensuite été sommé de rencontrer un responsable de la sécurité avant de recevoir un moyen de communication. Les conditions imposées visaient à limiter toute activité politique ou militaire sur le sol iranien.
Un accueil conditionnel et des objectifs stratégiques
Les autorités iraniennes ont, selon le récit, accepté d’aider les fugitifs pour des raisons humanitaires mais aussi pour préserver un lien avec les Talibans et se donner des leviers diplomatiques. Telle était, d’après le témoin, une logique pragmatique fondée sur des intérêts nationaux.
Plusieurs éléments expliquent cette approche :
- l’ouverture d’une voie humanitaire permettant de contrôler les flux sans reconnaître officiellement une politique d’accueil ;
- la volonté de disposer d’éléments susceptibles de servir de monnaie d’échange dans d’éventuelles négociations futures ;
- le souhait de limiter les risques en imposant l’absence d’activités hostiles sur le territoire iranien.
Cependant, l’Iran a parfois remis certains individus à leurs pays d’origine ou à d’autres États en signe d’apaisement diplomatique.
Contrôles, facilités discrètes et méfiances
La frontière iranienne était surveillée par des dispositifs de sécurité et des caméras, rendant le passage difficile. Malgré cela, les autorités auraient laissé passer des groupes en fermant les yeux sur des passages illégaux, tout en assurant des libérations discrètes des personnes arrêtées.
Cette discrétion visait notamment à éviter toute preuve formelle d’assistance en cas de poursuites ultérieures contre ces personnes dans leur pays d’origine. Certains fugitifs, cependant, refusaient tout contact direct avec Téhéran, estimant l’État iranien plus dangereux que les forces américaines, et préféraient recourir aux réseaux de passeurs.
Le récit mentionne par ailleurs la préoccupation iranienne concernant des contacts avec des Balochis soutenant al-Qaïda, ce qui a poussé le témoin à limiter ses échanges avec ces groupes par crainte d’une surveillance constante.
Annonce de sa disparition et transfert à Téhéran
Après l’annonce américaine de la mort de l’ancien mufti dans une frappe aérienne, les autorités iraniennes l’ont perçu comme une opportunité de réduire les risques de traque. Ils lui ont demandé de se rendre à Téhéran, où le nombre d’arrivants afghans s’est intensifié.
Cette concentration de personnes a rapidement généré des tensions et des difficultés de gestion pour les autorités iraniennes, en raison du profil de certains arrivants et des tentatives de communication de ces derniers avec leurs proches à l’étranger.
Fouillis, arrestations massives et remises d’individus
Avec l’afflux, Washington avait mis des primes sur certains chefs talibans et d’Al-Qaïda, ce qui a accru les risques de dénonciation et les mouvements de renseignement. Selon le témoin, la situation a dégénéré en une forme de chaos rappelant la fin de l’ère talibane.
Face à cette situation, Téhéran a mené une campagne d’arrestations ciblant principalement les hommes suspectés de ne pas respecter l’accord tacite. Beaucoup ont été transférés vers des prisons de Téhéran, tandis que femmes et enfants ont été hébergés dans un hôtel nommé « Hoveyzeh ».
Les médias locaux ont relayé l’arrestation de supposés infiltrés venus du Pakistan et ont appelé la population à collaborer. Parallèlement, l’Iran a entamé des contacts avec des États pour restituer certains ressortissants présents sur son sol.
Remises à des pays tiers et implications diplomatiques
Selon le récit, l’Iran a choisi de ne pas livrer certains chefs du jihad afin de préserver des canaux de communication, tout en remettant d’autres combattants à des pays cherchant à obtenir des satisfactions diplomatiques, notamment l’Arabie saoudite et le Yémen.
Par ailleurs, un groupe de combattants a été remis à l’administration du président Hamid Karzai (https://www.aljazeera.net/encyclopedia/2015/1/2/%D8%AD%D8%A7%D9%85%D8%AF-%D9%83%D8%B1%D8%B2%D8%A7%D9%8A), puis transmis aux États-Unis via le Royaume-Uni, pour finir détenus à Guantánamo. Cette pratique illustre la complexité des choix iraniens entre gestion des flux et jeux d’influence régionaux (voir aussi contexte sur Washington : https://www.aljazeera.net/encyclopedia/2014/12/28/%D9%88%D8%A7%D8%B4%D9%86%D8%B7%D9%86-%D8%AF%D9%8A-%D8%B3%D9%8A).
Divisions internes et justification des arrestations
L’ancien mufti attribue ces comportements à une lutte interne entre deux courants : l’un conservateur, hostile aux États-Unis et favorable à la protection de certains combattants, et l’autre réformiste, désireux de calmer les tensions avec l’Occident.
Officiellement, l’Iran a justifié les arrestations par l’entrée illégale sur son territoire. Les dossiers ont été orientés vers la justice, qui a prononcé des décisions de rapatriement pour ceux qui le souhaitaient.
Prison de Karaj, déportations et retours via les passeurs
Par la suite, la plupart des détenus ont été regroupés dans la prison de Karaj, où ils ont été placés dans deux grands dortoirs ouverts. Le témoin note que, malgré la détention, la vie en prison avait des conditions qu’il jugeait meilleures que la liberté précaire ailleurs.
Certaines personnes ont choisi de ne pas retourner dans leur pays malgré les décisions judiciaires. L’État iranien a alors organisé ou toléré des renvois vers le Pakistan via les réseaux de passeurs. Après être sortis clandestinement, certains sont revenus en Iran avec les mêmes passeurs, en veillant à ne pas reproduire les erreurs qui avaient mené aux arrestations précédentes.
Leurs capacités de dissimulation ont été facilitées par l’aide de réseaux de Sunnites iraniens, selon le récit, ce qui a permis à certains de se fondre dans des communautés capables de les protéger temporairement.
Points clés
- L’Iran a offert une assistance initiale d’apparence humanitaire à des combattants afghans, tout en imposant des limites strictes.
- Les priorités iraniennes oscillaient entre contrôle des flux migratoires, intérêt diplomatique et gestion des risques sécuritaires.
- Des remises d’individus à des pays tiers, y compris des transferts aboutissant à Guantánamo, témoignent des jeux d’influence régionaux.
- Les arrestations massives et les procédures judiciaires ont été justifiées par des entrées illégales, mais la pratique a mêlé répression, négociation et discrétion.