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Depuis près d’une semaine, la scène politique tunisienne est secouée par un vif débat autour d’une initiative parlementaire américaine intitulée « pour la restauration de la démocratie en Tunisie ». Présentée par deux élus, le républicain Joe Wilson et le démocrate G. Wilson Crow, la proposition attend d’être renvoyée aux commissions des affaires étrangères et judiciaires de la Chambre des représentants pour examen. Si elle était adoptée, elle devrait ensuite être votée en séance plénière, transmise au Sénat puis soumise à la signature du président des États‑Unis.
Contenu de l’initiative et sanctions envisagées
Le texte part d’une analyse sévère de la situation : il qualifie le gouvernement du président Kaïs Saïed de « autoritaire », l’accuse de violations des droits de l’homme et d’actes contraires à la Constitution. L’initiative appelle au rétablissement d’un processus démocratique en Tunisie et à l’organisation d’élections conformément à la Constitution de 2014, que le président Saïed a abrogée au profit d’une nouvelle Loi fondamentale rédigée sous son autorité.
Si le projet de décision devait être adopté, il prévoit des sanctions pouvant durer jusqu’à quatre ans et comportant des « mesures sévères ». Parmi les principaux volets figurent :
- la suspension de l’aide destinée aux forces armées tunisiennes et aux services impliqués, selon le texte, dans le « recul démocratique » et les violations des droits humains ;
- le gel et la saisie éventuelle des biens et avoirs tunisiens présents sur le sol américain ;
- le refus de délivrer des visas d’entrée aux États‑Unis aux responsables présumés impliqués dans des violations depuis le 25 juillet 2021, date du tournant politique mené par Kaïs Saïed.
Des experts et diplomates avertissent que des mesures américaines de ce type pourraient servir de modèle et être suivies par d’autres pays, en particulier au sein de l’Union européenne, ce qui expliquerait l’enjeu stratégique pour l’avenir des relations tuniso‑américaines.
Développements diplomatiques récents
La proposition américaine intervient après plusieurs épisodes diplomatiques marquants entre Tunis et Washington. Fin juillet, un haut conseiller du président américain pour les affaires africaines et arabes, Massad Boulos, s’est rendu en Tunisie et a rencontré le président Saïed.
Selon des sources, le conseiller a exhorté la direction tunisienne à rétablir les institutions élues et à remettre la transition démocratique sur les rails. Le président tunisien a manifesté son irritation face à ces demandes et la présidence a publié un communiqué insistant sur le principe de non‑ingérence et la « redéfinition » des alliances internationales de la Tunisie, évoquant notamment des rapprochements avec l’Iran, la Russie et la Chine.
Dans la même période, la Première ministre italienne Giorgia Meloni s’est rendue au palais de Carthage pour une visite tenue secrète sur le fond. Des fuites évoquent que Meloni a invité Kaïs Saïed à prendre au sérieux les préoccupations américaines et à considérer la possibilité d’un retour au processus démocratique.
Rencontre avec le Congrès et nomination d’un nouvel ambassadeur
Le 28 août, quelques jours après l’apparition du projet de loi, le ministre tunisien des Affaires étrangères, Mohamed Ali Nafati, a reçu une délégation du Congrès américain. Cette visite n’a pas porté sur les investissements et la coopération bilatérale, comme l’a tenté de le présenter la diplomatie tunisienne, mais plutôt sur les demandes et les pressions américaines pour éviter l’adoption de sanctions.
Parallèlement, les États‑Unis ont nommé un nouvel ambassadeur pour la Tunisie, Bill Bazi, dont l’arrivée est attendue prochainement. Cette désignation traduit, selon Washington, la volonté de maintenir un canal diplomatique et de « construire un partenariat fondé sur la compréhension, le soutien à la coopération bilatérale et la lutte contre le terrorisme ».
Un contexte historique de relations fluctuantes
Les États‑Unis suivent la Tunisie depuis son indépendance en 1956, soutenant successivement Habib Bourguiba et, plus tard, Zine el‑Abidine Ben Ali, même lorsque les violations des droits humains se sont multipliées. Après la révolution de 2011, Washington a tenté d’accompagner le processus de transition, soutenant dans un premier temps la « troïka » dominée par Ennahdha puis favorisant un réalignement pragmatique des forces politiques.
Quand Kaïs Saïed a concentré les pouvoirs et suspendu des pans entiers du processus démocratique depuis juillet 2021, la réaction américaine est restée plutôt mesurée, limitée à quelques déclarations. En parallèle, des accords militaires et énergétiques ont perduré, malgré les critiques occidentales sur la situation des droits et des libertés en Tunisie.
Crédibilité américaine et dilemme tunisien
L’initiative américaine soulève une question centrale de crédibilité : comment faire confiance à une puissance qui dénonce en même temps les atteintes aux droits de l’homme en Tunisie et apporte un soutien militaire politiquement sensible, perçu comme complice des souffrances des Palestiniens à Gaza ?
Cette dichotomie pèse sur l’opinion publique tunisienne, longtemps solidaire de la cause palestinienne, et sur l’écosystème politique local. Malgré cela, Washington semble déterminée à pousser pour un retour à un cadre démocratique, par la pression diplomatique et la menace de sanctions, tout en maintenant certains canaux de coopération.
Pour le pouvoir tunisien, les options sont limitées. Si le président Saïed persiste dans une ligne d’entêtement sous l’étendard d’une « libération nationale » et d’une souveraineté compréhensive, le pays risque de s’enfoncer dans une trajectoire d’incertitude politique et économique, tandis que de nombreux responsables et acteurs politiques demeurent emprisonnés ou exilés.
Perspectives
L’initiative américaine pour la « restauration de la démocratie en Tunisie » place Tunis à un carrefour délicat : engager un véritable dialogue susceptible de désamorcer la menace de sanctions ou s’enfermer dans une posture nationale qui pourrait aggraver l’isolement. Le calendrier politique international et l’écho de ces décisions à Washington et en Europe détermineront largement le cours des relations bilatérales à court et moyen terme.
La suite dépendra de l’attitude des autorités tunisiennes face aux pressions étrangères et de la capacité des partenaires internationaux à conjuguer fermeté sur les principes démocratiques et soutien pragmatique aux besoins sociaux et économiques du pays. L’avenir politique de la Tunisie reste incertain tant que le processus de transition n’est pas rétabli de manière crédible et inclusive.