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Depuis plus de quinze ans, la voix de Zubeen Garg offrait un refuge à des dizaines de milliers d’habitants de l’Assam, transcendant les fractures religieuses et linguistiques. Dans un État marqué par des tensions croissantes entre communautés assames autochtones et locuteurs bengalis, la musique de l’artiste est devenue un lien rare entre Hindous et Musulmans.
La disparition soudaine du chanteur, retrouvé noyé près de Lazarus Island à Singapour le 19 septembre alors qu’il devait se produire au Northeast India Festival, a suscité une vague de deuil qui a mis en lumière son rôle d’unificateur culturel. Zubeen Garg Assam est ainsi revenu au cœur des débats et des émotions au-delà de sa seule carrière artistique.
Réactions publiques et hommage officiel
La mort du chanteur de 52 ans a entraîné un flot de condoléances à tous les niveaux politiques et sociaux. Le Premier ministre Narendra Modi a rendu hommage à « sa riche contribution à la musique », rappelant que ses interprétations touchaient des personnes de tous horizons.
Le ministre en chef de l’Assam, Himanta Biswa Sarma, a déclaré que l’État avait « perdu l’un de ses fils préférés ». Le gouvernement local a décrété quatre jours de deuil officiel et a organisé le rapatriement du corps depuis Singapour.
- Des dizaines de milliers d’admirateurs se sont rassemblés à l’aéroport de Guwahati pour accueillir la dépouille.
- Un cortège a accompagné le corps jusqu’au stade pour une veillée publique, suivi d’une crémation avec honneurs d’État et une salve de 21 coups.
Un arrière-plan politique et communautaire polarisé
Les scènes d’unité autour de la mort de Garg contrastent fortement avec les divisions profondes qui traversent l’Assam. Les tensions entre locuteurs assamais autochtones et communautés bengalies, tant hindoues que musulmanes, trouvent leurs racines dans des migrations et des politiques remontant à l’époque coloniale et à la partition de 1947.
Ces fractures se sont traduites par des soupçons persistants sur l’identité et la citoyenneté, notamment à l’encontre des Musulmans bengalophones, souvent stigmatisés et parfois désignés comme « infiltrés bangladais ». Des personnes ont été déclarées sans papiers, placées en détention ou contraintes à partir vers le Bangladesh.
- La peur de perdre terres et emplois a alimenté des conflits ethniques et linguistiques séculaires.
- Les débats récents sur la citoyenneté et des politiques discriminatoires ont ravivé ces tensions.
Le rôle de Zubeen Garg face aux divisions
Dans ce contexte polarisé, la posture publique de Zubeen Garg l’a souvent placé en marge des courants majoritaires. Se qualifiant d’athée et de « socialiste de gauche », il se tenait à distance des principaux partis — tant du Congrès que du BJP — et critiquait le système des castes.
Plusieurs gestes et prises de parole ont renforcé son image d’artiste inclusif :
- Il a déclaré publiquement : « Je suis juste un humain. Je n’ai ni caste, ni religion, ni Dieu. »
- Il s’est opposé à la loi sur la citoyenneté de 2019, perçue comme discriminatoire envers les Musulmans.
- Il a parfois provoqué en défiant les conventions religieuses et sociales (ex. : remarques sur la consommation de bœuf), suscitant à la fois soutien et controverse.
Des observateurs locaux expliquent que son refus d’attaquer personnellement les dirigeants du BJP a facilité la récupération publique de son image par le pouvoir, tandis que sa popularité populaire demeurait intacte parmi diverses communautés.
Une carrière hors norme et une voix populaire
Né en 1972 à Jorhat, fils d’un écrivain assamais et d’une chanteuse, Zubeen Garg a commencé à chanter à l’âge de trois ans. Sa carrière professionnelle a décollé en 1992 avec l’album Anamika.
Son parcours s’est distingué par son éclectisme :
- Plus de 38 000 chansons interprétées en dizaines de langues et dialectes.
- Un succès national avec le titre hindi Ya Ali (2006) pour le film Gangster: A Love Story.
- Un prix national pour la composition de la bande sonore du film non fictionnel Echoes of Silence.
Sa réputation ne tient pas qu’à la technique : il a bouleversé l’image traditionnelle de l’artiste assamais en adoptant un style parfois brut, indiscipliné et provocateur sur scène. Il refusait de se conformer aux attentes sociales de « respectabilité ».
Accessible à tous : une popularité intercommunautaire
Pour de nombreux fans, la musique de Garg exprimait des émotions profondes et parlait à l’universalité des expériences humaines — amour, souffrance, quête de sens. Des paroles comme celles de Pakhi Pakhi Ei Mon évoquent la liberté et la contrainte, métaphores de la condition humaine.
Parmi ses admirateurs figurent des Musulmans bengalophones qui ont trouvé dans ses chansons un écho spirituel et social. Abrar Nadim, agent de santé du district de Barpeta, explique que des morceaux comme Aei Mayar Dhorat lui ont offert une forme de consolation spirituelle.
Après sa disparition, des pratiques inhabituelles ont été observées : des élèves de madrasas ont joué ses chansons, des dirigeants musulmans ont organisé des prières et récité le Coran devant son portrait, traduisant un attachement dépassant les contraintes rituelles habituelles.
Pour un chauffeur routier bengali-musulman de Guwahati, Hussain, Garg n’a jamais stigmatisé sa communauté. Humer la mélodie de Maya, l’un de ses succès de 2007, c’est ressentir le vide laissé par une voix qui, pour beaucoup, incarnait une Assam commune à Hindous et Musulmans, à locuteurs assamais et bengalis.