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Il y a plus de 10 000 ans, l’homme a entamé sa relation avec l’orge, l’une des plus anciennes cultures au monde. Une étude internationale dirigée par l’Institut Leibniz en Allemagne et publiée dans la revue Nature (https://www.nature.com/articles/s41586-025-09533-7) révèle que l’orge cultivée moderne porte une mosaïque génétique complexe issue de cinq groupes sauvages distincts.
Une méthode d’analyse fine
Les chercheurs ont dû surmonter des difficultés liées à la biologie de l’orge : plante auto-féconde, elle affiche une diversité génétique réduite, ce qui complique le repérage des différences subtiles entre lignées.
Pour trancher, l’équipe a utilisé un outil avancé appelé « IntroBlocker », un logiciel qui identifie les segments génétiques partagés entre échantillons anciens et modernes, agissant comme une empreinte génétique fine.
Le travail sur l’ADN ancien a été mené avec une extrême prudence pour éviter toute contamination. Ensuite, la comparaison des génomes anciens et contemporains a montré un degré de correspondance élevé, renforçant la confiance dans les conclusions.
Cinq mères sauvages
Les résultats indiquent que l’orge cultivée n’a pas une origine unique mais résulte d’un croisement génétique entre plusieurs populations sauvages réparties en Asie occidentale.
Les régions contributrices identifiées incluent :
- Le Croissant fertile (Palestine, Jordanie, Liban, Syrie) — apport majeur dans le génome moderne.
- L’Asie centrale — contribution nette aux variétés locales et à l’orge d’Asie orientale (notamment Chine et Afghanistan).
- Le désert syrien et le nord de la Mésopotamie — apports distincts mais inégaux.
- Autres poches régionales montrant des signatures locales d’ascendance sauvage.
Cette mosaïque régionale signifie que chaque zone a transmis des segments différents du code génétique de l’orge moderne, à des proportions variables.
Des mutations apparues avant les agriculteurs
Une découverte remarquable est que certaines mutations décisives pour la domestication — notamment la non-dispersion naturelle de l’épi qui empêche la chute des grains — existaient déjà, à faible fréquence, dans les populations sauvages bien avant l’apparition de l’agriculture.
Ces mutations ont facilité la collecte manuelle : les plantes qui retenaient leurs grains étaient plus faciles à récolter et produisaient davantage, ce qui a conduit à une sélection inconsciente par les premiers collecteurs-paysans.
Selon le responsable de l’étude, ces traces génétiques montrent que l’« acte » initial de domestication a été amorcé par la nature elle-même, puis amplifié par l’activité humaine.
Des lignées qui se séparent puis se rejoignent
Les trois grandes lignées d’orge cultivée actuelles — européenne, orientale et éthiopienne — se sont différenciées génétiquement il y a des millénaires. Toutefois, elles n’ont jamais été complètement isolées.
Des échanges continus ont eu lieu au fil de l’histoire par le commerce, les migrations et l’échange de semences. Ces transferts ont permis :
- Des partages de traits génétiques entre variétés « deux rangs » et « six rangs » en Europe.
- Des mélanges locaux persistants dans des zones montagneuses comme la Géorgie et l’Iran.
- Une intégration régulière de gènes sauvages dans les populations cultivées en Asie de l’Ouest et centrale.
Cette dynamique de divergence et de recoupement a contribué à la diversité et à l’adaptabilité de l’orge face à des environnements variés.
Du passé au futur
Comprendre cette « origine génétique du blé d’orge » n’est pas qu’un exercice historique : c’est une réserve de ressources génétiques pour l’agriculture de demain.
En identifiant les segments hérités de chaque groupe sauvage, les scientifiques peuvent isoler des mutations favorables à la résistance au stress — sécheresse, salinité, chaleur — et les exploiter par hybridation ou sélection ciblée.
L’approche employée pour l’orge servira également à retracer les origines d’autres cultures du Croissant fertile, comme le blé, les lentilles et les pois, révélant peut-être que nombre de nos céréales anciennes proviennent elles aussi d’un mélange d’ancêtres sauvages.
Les chercheurs prévoient d’étendre cette méthodologie à d’autres espèces pour mieux comprendre l’agriculture originelle et enrichir le patrimoine génétique utilisable face au changement climatique.