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Basim Khandakji, écrivain palestinien libéré après 21 ans d’incarcération, raconte les violences et les privations subies dans les prisons israéliennes, ainsi que l’exil forcé qui l’empêche de retrouver sa famille à Naplouse. Quelques jours après avoir appris que son roman avait remporté le prix International du roman arabe (Arabic Booker Prize) en 2024, il a été battu, menotté et placé à l’isolement. Aujourd’hui, il attend en Égypte pendant que sa famille tente d’obtenir le droit de le rejoindre.
Arrestation, condamnation et isolement
Arrêté en 2004 à l’âge de 21 ans, alors qu’il terminait des études en journalisme et sciences politiques à l’université An-Najah à Naplouse, Khandakji a été condamné pour appartenance à une « cellule militaire » et pour implication dans un attentat-suicide à Tel-Aviv. Il affirme avoir été contraint de signer des aveux.
Il a purgé trois peines de prison à perpétuité, souvent en isolement, et a été transféré à plusieurs reprises entre les 19 établissements israéliens qui détiennent des Palestiniens. Il raconte des périodes prolongées en cellule solitaire et des violences physiques et psychologiques répétées.
- Privations alimentaires et politique de la faim utilisées comme méthode de pression.
- Dénégation de vêtements, couvertures et chauffage pendant l’hiver.
- Tabassages répétés ciblant notamment la tête, le cou et la colonne vertébrale.
- Négligence médicale intentionnelle selon plusieurs témoignages.
Les horreurs après le 7 octobre 2023
Khandakji affirme que, après l’attaque du 7 octobre 2023 et l’escalade du conflit, les méthodes des gardiens se sont durcies. Des détenus ont commencé à mourir dans des conditions choquantes et régulières.
Il évoque des scènes traumatisantes :
- des cadavres laissés à pourrir dans les cellules, parfois suspendus aux barreaux ;
- des entassements de corps dans certains centres de détention ;
- une hausse des mauvais traitements dirigés contre des détenus raflés par centaines, notamment depuis Gaza.
Selon les Nations unies, au moins 75 Palestiniens seraient morts dans les prisons israéliennes depuis octobre 2023, tandis que des ONG comme B’Tselem et le Centre palestinien pour les droits de l’homme ont documenté des abus systématiques.
Écriture en détention et roman primé
En cellule, l’écriture a été pour Khandakji un refuge et une manière de préserver sa liberté intérieure. Il a dû mener plusieurs grèves de la faim pour obtenir cahiers et stylos, puis dissimuler ses manuscrits pour les faire sortir via son avocat ou des visiteurs.
Son roman, A Mask, The Colour of the Sky, a été publié au Liban en 2023 et s’est retrouvé sur la liste restreinte du International Prize for Arabic Fiction (Arabic Booker). L’œuvre suit Nur, un archéologue palestinien qui revêt l’identité d’“Ur” après s’être procuré une carte d’identité israélienne, et interroge les limites de la liberté et l’effacement des patrimoines.
Après l’annonce de la distinction, des responsables nationalistes israéliens ont exigé des conditions plus dures à son encontre, et des appels à la violence ont été proférés contre lui par l’extrême droite.
![Basem Khandakji [Courtesy of Khandakji family]](/wp-content/uploads/2025/10/WhatsApp-Image-2025-10-20-at-18.10.45-1-1-1760973277.jpg?w=770&resize=770%2C513&quality=80)
Privé de stylos et de lunettes, il a vécu des périodes de grande impuissance : « Être privé de mes stylos et de mes cahiers, c’était comme être privé d’air », dit-il. Son prix comprenait une récompense financière et un financement pour une traduction en anglais, ouvrant la voie à une audience mondiale.
Témoignages, camaraderies et pertes
Khandakji garde des souvenirs douloureux de camarades disparus et de proches privés de soins. Il évoque la mort de Walid Daqqa, écrivain et ami, décédé d’un cancer selon lui lié à une négligence médicale délibérée.
La solidarité entre détenus a été l’un des rares soutiens : ces amitiés, assure-t-il, « même la mort ne peut les effacer ». Parmi ses codétenus figure Marwan Barghouthi, figure politique détenue depuis longtemps et souvent comparée à Nelson Mandela par ses partisans.
Khandakji vit avec le poids d’avoir laissé « tant d’amis en souffrance » derrière lui, et la tristesse de ne pas avoir pu enterrer son père : il a appris le décès sans pouvoir assister aux funérailles.
Libération, exil et attente en Égypte
Le 13 octobre, dans le cadre d’un accord de cessez-le-feu négocié par les États-Unis entre le Hamas et Israël, Khandakji a été l’un des 250 détenus de haut profil libérés en échange de la remise de captifs israéliens et de près de 2 000 Palestiniens.
Sa sortie a été marquée par l’angoisse et l’incertitude : le bus qui l’a emmené ne s’est pas dirigé vers Naplouse, et il a été contraint à l’exil. Israël lui interdit aujourd’hui de rentrer chez lui, et sa famille se bat pour le rejoindre en Égypte.
Il confie : « Être exilé de sa patrie, c’est une douleur brûlante. Mes premières joies, mes premières peines et mes premiers rêves étaient tous dans ma ville, Naplouse. Les Palestiniens, contrairement à d’autres, n’habitent pas une terre — la terre vit en eux. »
Projets et espoirs
Libéré mais loin des siens, Khandakji entend poursuivre l’écriture. Il a composé mentalement un nouveau roman durant sa dernière année de captivité, inspiré notamment de l’histoire de Walid Daqqa.
Sur le plan académique, il prévoit de préparer un doctorat après avoir obtenu, en prison, un master en études israéliennes. Son objectif immédiat est de retrouver sa famille et d’« embrasser sa mère » non pas comme un prisonnier libéré, mais comme un enfant cherchant l’odeur de son enfance.
En attendant, son récit met en lumière les conditions de détention, la privation de droits fondamentaux et la lutte pour faire entendre la voix des détenus palestiniens. Le cas de Basim Khandakji alimente le débat international sur les pratiques carcérales et le traitement des prisonniers liés au conflit israélo-palestinien.