Table of Contents
La question démographique a été au cœur de la pensée sioniste depuis la fin du XIXe siècle, et elle continue de structurer les politiques israéliennes à l’égard de Gaza. Loin d’être un simple débat théorique, ce choix stratégique s’est traduit, au fil des décennies, par des plans et des opérations militaires, des pressions économiques et des propositions politiques visant à réduire ou déplacer la population palestinienne du territoire. L’analyse qui suit retrace cette trajectoire historique et montre comment Gaza est devenue, pour certains acteurs israéliens, un « problème démographique » à résoudre.
Racines historiques d’une stratégie démographique
Dès ses premières années, le mouvement sioniste considérait l’équilibre des populations comme un facteur décisif pour la viabilité d’un État juif. Des déclarations publiques et des écrits fondateurs évoquaient la nécessité d’empêcher une majorité arabe trop importante.
Au fil du XXe siècle, cette préoccupation s’est traduite par des politiques visant à diminuer la présence palestinienne ou à la déplacer, soit par des expulsions massives pendant la Nakba, soit par des projets de réinstallation encouragés ou couverts par des autorités et des agences diverses.
- Objectif stratégique : préserver une majorité juive stable.
- Moyens : expulsions, pressions économiques, plans de réinstallation régionale.
- Conséquence : Gaza, en raison de sa densité et de son histoire de réfugiés, est devenue un point focal.
De la Nakba aux premières tentatives de transfert
En 1948, la création de l’État israélien s’accompagna d’une des plus vastes opérations de déplacement forcé de l’époque moderne : près de 750 000 Palestiniens furent chassés de leurs foyers.
Environ 200 000 réfugiés se retrouvèrent à Gaza, faisant passer la population du territoire de moins de 80 000 à plusieurs centaines de milliers en très peu de temps. Ces flux transformèrent Gaza en sanctuaire surpeuplé et en enjeu démographique majeur.
Dans les années 1950, des projets de relocalisation vers le nord-ouest du Sinaï cherchèrent à déporter ou à installer des réfugiés loin de la Palestine historique, mais ces plans se heurtèrent à l’opposition palestinienne et au refus égyptien.
Le conflit de 1956 et les vagues de déplacement
Durant la guerre du Canal de Suez en 1956, l’occupation temporaire par Israël de Gaza fut marquée par des exactions et par des opérations de déplacement forcé.
Des massacres rapportés et des expulsions massives provoquèrent des déplacements internes et vers la frontière égyptienne, tandis que des fonds furent budgétisés par certaines autorités pour soutenir ces opérations de vidage démographique.
La pression internationale, notamment des États-Unis et de l’Union soviétique, ainsi que la résistance régionale conduisirent au retrait israélien en mars 1957, sans pour autant effacer le traumatisme et les séquelles démographiques.
Après 1967 : plans de « migration volontaire » et tentatives de réduction
La guerre des Six Jours en 1967 ouvrit de nouvelles discussions au sein des institutions israéliennes sur l’avenir démographique de Gaza. Des propositions préconisaient de provoquer une « migration volontaire » en rendant la vie sur place intenable.
Des documents indiquent des projets visant à réduire la population de centaines de milliers d’habitants à une fraction seulement, par la destruction de moyens de subsistance et par des incitations financières à l’exil.
- Moyens envisagés : sabotage de l’agriculture, restrictions de mouvement, incitations économiques.
- Résultats : seules dizaines de milliers de personnes partirent, la majorité resta refusant de renoncer au droit au retour.
- Blocages externes : pays voisins et autorités locales refusèrent souvent d’accueillir de larges vagues de réfugiés.
Années 1970–1980 : cloisonnement, démolition et pression économique
Après 1973, les autorités israéliennes mirent en place des politiques d’isolement des camps, délibérément conçues pour fragmenter le tissu social et faciliter le contrôle.
Des opérations de démolition, la création de « cantons » et des restrictions de circulation visaient à éroder la résistance et à pousser les populations à migrer.
Parallèlement, les années 1980 virent se développer une « migration silencieuse » provoquée par la diminution des opportunités économiques, la fermeture des passages et la hausse du chômage.
La « voie douce » : politiques d’étouffement économique et pression quotidienne
Plutôt que d’annoncer des expulsions massives, l’approche a souvent consisté à rendre la vie à Gaza insoutenable par des mécanismes graduels.
Ces mécanismes incluent la restriction des échanges, la fermeture circulaire des points de passage, la destruction d’infrastructures et des campagnes militaires récurrentes qui sapent les conditions de vie.
Le résultat est une forme de dépeuplement par pression continue : certains partent, d’autres voient leurs conditions de reproduction sociale et économique compromises.
Retrait unilatéral de 2005, mais maintien du siège
Le désengagement israélien de 2005 se traduisit par le retrait des colonies et des forces permanentes, sans pour autant mettre fin au contrôle effectif sur les frontières, l’espace aérien et maritime.
Depuis 2007, le blocus strict imposé à Gaza a asphyxié l’économie et détérioré les services publics, accentuant la vulnérabilité des populations et alimentant de nouvelles vagues de déplacement interne.
Photo légendée : rencontre à Charm el-Cheikh en 2005 avant le sommet où fut proclamée la fin d’une phase de violences. Les dynamiques politiques post-retrait ont maintenu Gaza en situation de dépendance et d’asphyxie.
Propositions réformatrices : le projet Giora Eiland (2010)
En 2010, l’ancien chef du Conseil de sécurité national israélien proposa des « alternatives régionales » visant notamment à délocaliser une partie de la population et des activités hors de Gaza, souvent en direction du Sinaï.
Ce plan envisageait d’agrandir géographiquement une zone pour y reloger Gaza tout en modifiant durablement la carte territoriale palestinienne et en déconnectant Gaza de la perspective d’un État indépendant.
Photo légendée : Giora Eiland, auteur d’une proposition stratégique largement débattue au sein des milieux politiques et militaires israéliens.
Plans politiques et discours publics : des propositions explicites
Dans les années récentes, des responsables politiques israéliens ont formulé publiquement des plans qui cherchent à réduire fortement la population de Gaza par des incitations ou des pressions déguisées en « migration volontaire ».
Un plan de 2017, par exemple, proposait des compensations financières massives pour encourager le départ, avec l’objectif explicite de ramener la population à un niveau résiduel.
- Argument présenté : solution « pacifique » par compensation.
- Critique : méthode déguisée de dépeuplement, contraire au droit international humanitaire.
- Conséquence politique : tels discours normalisent l’idée d’une « solution démographique ».
« L’axe économique » : la « paix » qui déplace
Des initiatives internationales et régionales ont parfois promu des projets d’infrastructures hors de Gaza (notamment en Sinaï) présentés comme des opportunités de développement.
Ces projets peuvent servir, dans les faits, d’instruments de déplacement en offrant des alternatives hors du territoire tout en ne résolvant pas les causes profondes du conflit ni en garantissant le droit au retour.
La rhétorique de l’investissement masque alors parfois une logique de redistribution territoriale et démographique.
Après le 7 octobre 2023 : reprise des appels au déplacement
La guerre déclenchée le 7 octobre 2023 a ramené au premier plan des propositions publiques et internes qui envisagent explicitement le déplacement massif des habitants de Gaza vers le Sinaï ou d’autres pays.
Des documents internes et des déclarations politiques ont présenté le déplacement de la population civile comme un des scénarios envisageables pour résoudre la « question de Gaza ». Cette approche place le dépeuplement au cœur des objectifs de guerre.
Photo légendée : déplacés à Gaza, août 2025 — manifestation visible des conséquences humanitaires des politiques militaires et du siège.
La « planification militaire » : retour des généraux
Des plans récents rédigés par d’anciens hauts gradés proposent des stratégies pour « nettoyer » des zones du nord de Gaza via des pressions militaires et humanitaires qui forceraient les civils à se déplacer vers le sud.
Ces propositions combinent siège, privation des moyens de subsistance et ciblage militaire des zones résidentielles, créant un cadre qui, de facto, produit du déplacement massif sans déclaration officielle d’expulsion.
Le mécanisme mis en avant repose sur deux leviers : étouffement socio-économique et justification militaire du déplacement, une méthode qualifiée par certains observateurs de « dépeuplement par la privation ».
La posture internationale : ambiguïtés et préparations
Au plan diplomatique, les positions ont oscillé entre condamnations formelles et mesures pratiques qui laissent entrevoir une préparation à l’accueil de déplacés, sans pour autant s’opposer efficacement aux actions qui provoquent ces déplacements.
Des déclarations publiques ont affirmé le rejet du transfert forcé, tandis que des budgets et mécanismes d’aide ont été mobilisés pour faire face à des flux d’exilés potentiels.
Cette dualité entre parole et acte soulève des questions sur la volonté réelle de prévenir un changement démographique forcé et sur la responsabilité collective face au droit international humanitaire.
Enjeux juridiques et humanitaires
Les politiques visant à déplacer des populations ou à rendre leur vie intenable entrent en tension directe avec les règles du droit international humanitaire, qui prohibent les expulsions forcées des populations civiles des territoires occupés.
Sur le plan humanitaire, le siège, les attaques répétées et l’effondrement progressif des infrastructures essentielles transforment Gaza en un laboratoire tragique où le déplacement devient une conséquence quotidienne et non un simple effet collatéral.
- Conséquence immédiate : crise humanitaire chronique, hausse de la vulnérabilité.
- Conséquence à long terme : altération irréversible du tissu démographique et social.
- Question clé : comment garantir les droits des civils et le droit au retour ?
Perspectives : dépeuplement Gaza comme processus continu
Analysée dans la durée, la politique à l’égard de Gaza révèle une continuité : guerres, blocus, projets politiques et discours publics convergent parfois vers le même effet — réduire la présence palestinienne sur le territoire.
Le terme « dépeuplement Gaza » décrit donc non un événement isolé mais un processus multifacette et évolutif, combinant pressions militaires, économiques et politiques.
Comprendre cette dynamique est essentiel pour toute réponse politique ou humanitaire visant à protéger les droits des populations et à préserver la possibilité d’une solution politique durable.


