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Quand une assiette tombe ou qu’un verre se brise, le spectacle paraît être une pure désorganisation : des éclats de tailles très inégales projettent partout. Pourtant, certains physiciens y voient une question fondamentale : pourquoi un même objet se fragmente-t-il selon une gamme si large de tailles ?
Une idée simple pour un phénomène chaotique
Le physicien Emmanuel Villermaux, de l’université d’Aix‑Marseille, propose une loi élégante décrivant ces processus de fragmentation, valable non seulement pour le verre et la céramique, mais aussi pour les gouttes de liquide et les bulles qui éclatent.
Villermaux part d’une observation : la rupture est souvent très rapide et très désordonnée. Il postule que, dans ces conditions, l’issue la plus probable est celle qui maximise le caractère aléatoire du résultat. Il qualifie ce principe d’« aléa maximal ».
Pour formaliser cette idée, il combine l’aléa maximal avec une contrainte physique qu’il appelle une loi de conservation, découverte antérieurement par son équipe. Cette contrainte empêche l’échelle globale de la fragmentation (le rapport entre grandes et petites pièces) de varier arbitrairement pendant la casse.
Le travail théorique a été présenté dans la revue Physical Review Letters (voir : https://journals.aps.org/prl/abstract/10.1103/r7xz-5d9c).
Observation : beaucoup de petits, peu de grands
L’application conjointe de l’aléa maximal et de la loi de conservation conduit naturellement à une distribution en « loi de puissance ». Autrement dit :
- le nombre d’éclats diminue quand leur taille augmente,
- la décroissance suit une relation exponentielle en échelle logarithmique (loi de puissance),
- la répartition est statistiquement la même pour des objets très différents lorsque le processus est dominé par le hasard.
Concrètement, pour un verre qui se brise, on observe beaucoup d’éclats très fins, peu d’éclats imposants, et un continuum régulier entre les deux extrêmes. Cette empreinte statistique — la signature de la fragmentation — reste comparable d’un événement à l’autre.
Des tests expérimentaux probants
Le modèle n’est pas resté au seul stade formel : Villermaux a confronté ses prédictions à des décennies de données sur la fragmentation. Le constat est un excellent accord pour de nombreux cas, couvrant matériaux fragiles et liquides en rupture.
Il a mené également des essais ciblés, par exemple en réduisant des cubes de sucre et en mesurant la distribution des fragments. En traitant le cube comme un objet tridimensionnel, il a pu prédire avec précision le motif des tailles observées.
Ces expériences renforcent l’idée que, dans les situations dominées par une rupture aléatoire, la fragmentation suit une loi de puissance universelle.
Limites de la « universalité »
Le modèle ne prétend pas expliquer tous les cas de casse. Il fonctionne de manière optimale quand la fragmentation est véritablement aléatoire, comme pour un verre tombant et heurtant soudainement le sol.
Toutefois, la loi s’affaiblit ou échoue lorsque la matière est très souple (certains plastiques) ou lorsque le mécanisme de séparation est ordonné. Par exemple, la dislocation de l’eau en gouttelettes régies par la tension superficielle produit des tailles assez homogènes.
Dans ces scénarios, l’« ingénierie » du détachement prime : des mécanismes locaux et géométriques contrôlent la répartition des tailles, et l’universalité statistique recherchée par la loi de puissance disparaît.
Pourquoi cette compréhension importe
Comprendre la fragmentation a des implications pratiques et théoriques : elle informe la sécurité et la gestion des débris, la reconstruction des événements (par ex. accidentologie), et éclaire des phénomènes naturels à grande échelle.
La notion d’une loi de puissance universelle donne un cadre simple pour anticiper la répartition des fragments dans de nombreux cas, tout en signalant clairement les situations où des mécanismes spécifiques doivent être pris en compte.

