En RDC, les violences sexuelles demeurent quotidiennes et sont décrites comme une arme de guerre dans une région où la paix est fragile depuis des décennies. Selon l’ONU, une femme est violée toutes les quatre minutes. Or, l’aide destinée à répondre à cette urgence s’est raréfiée ces derniers mois. D’après une enquête relayée par le Washington Post, les kits de prophylaxie post-exposition (PPE) sont devenus une denrée rare, au point que de nombreux hôpitaux manquent cruellement de ces protections. Nadine, une adolescente de 17 ans, en a fait les frais.

Élève dans un lycée de l’est du pays, Nadine a été violée en avril par quatre hommes alors qu’elle ramassait du bois pour le foyer familial. Elle s’est d’abord rendue à la clinique locale, qui l’a redirigée vers un autre hôpital faute de médicaments. Dans le deuxième établissement, le même silence. Peu après, elle a réussi à réunir l’argent nécessaire pour traverser la frontière et recevoir des soins en Ouganda voisin; à son arrivée, les tests ont révélé qu’elle était enceinte et séropositive. « Je me suis assise avec mon amie et j’ai pleuré », se remémore-t-elle.
Les violences sexuelles sont endémiques dans la région, véritable arme de guerre dans un pays où les armées et les groupes armés opèrent souvent sans être inquiétés. Depuis l’intensification des combats entre le mouvement rebelle M23, soutenu par le Rwanda, et les forces armées congolaises, les organisations humanitaires constatent une explosion des violences. Femmes et filles sont violées en forêt, au bord des routes ou chez elles, par des hommes armés et quasi systématiquement impunis.
Pendant plus de deux décennies, les ONG financées par les États‑Unis ont martelé le même message: après un viol, demander de l’aide dans les soixante-douze heures et se rendre à la clinique la plus proche. Les établissements fournissent alors des PPE, des médicaments pour prévenir la grossesse et les infections sexuellement transmissibles, dont le VIH.
La situation s’est détériorée avec la fin des aides
Le filet de sécurité s’est brutalement effrité. Le gel des aides de l’USAID, décrété par le président Donald Trump, a des conséquences immédiates et dramatiques: des milliers de femmes congolaises n’ont plus accès à une protection médicamenteuse vitale.
Selon le ministère de la Santé, 96 % des femmes victimes de viol se rendant en clinique en Ituri avaient reçu un traitement en 2024; au premier semestre de l’année, elles ne sont plus que 76 %. Les experts estiment que ce chiffre est largement surestimé. En août, le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) a indiqué que seuls 845 kits PPE étaient disponibles, alors que le besoin pour les trois mois suivants atteignait 23 000. Parallèlement, les cas de viol signalés ont augmenté d’un tiers en un an.
L’aide humanitaire, elle aussi, s’amenuise. Couper drastiquement ce financement est « honteux et cruel, et cause également un préjudice incalculable aux femmes et aux filles qui comptaient sur ce soutien », déplore l’ancienne directrice de l’USAID pour l’Afrique. En RDC, les victimes de viol sont souvent rejetées par leur famille et ostracisées. Désormais, elles ne peuvent même plus se tourner vers les établissements de santé pour éviter les grossesses indésirées et limiter les IST.
En un an, le taux de positivité au VIH a augmenté de plus de 50 %, selon le gouvernement. Pourtant, 60 % des Congolaises victimes de viol sollicitent une aide médicale dans les trois jours. Mais les médicaments manquent depuis des mois.
Le prix Nobel de la paix Denis Mukwege s’indigne: aider les femmes et les filles les plus vulnérables « n’est pas seulement une obligation médicale, c’est une responsabilité morale ». Fondateur de l’hôpital de Panzi, il rappelle que des dizaines de milliers de victimes ont été soignées grâce à des soins spécialisés. Il déplore qu’après des décennies de conflit, les victimes de l’est de la RDC aient encore du mal à obtenir quelque chose d’aussi élémentaire qu’un kit PPE.
Face au retrait américain, la communauté internationale tente de colmater la brèche. Le Canada et plusieurs pays européens ont promis des fonds, et les kits PPE de l’UNFPA ont commencé à arriver en nombre en octobre. Un programme de la Banque mondiale prévoit de fournir 25 000 kits supplémentaires. Mais pour nombre de femmes, l’aide arrive trop tard.
Le 26 août, les combats se sont rapprochés de la ville de Tchomia, sur les rives du lac Albert. Rebecca, mère de quatre enfants, a jugé dangereux d’aller vendre son poisson au marché; elle est toutefois partie chercher des bananes dans la forêt pour nourrir sa famille. Deux hommes l’ont violée; « Comme si je n’étais rien », se souvient-elle, encore choquée. Après leur départ, elle est restée allongée sur le sol humide, puis a marché six kilomètres jusqu’à la clinique la plus proche. Aucun kit. Pas plus à l’hôpital suivant.
Elle rentre chez elle, craignant de laisser ses enfants seuls alors que les combats font rage. « Je suis restée éveillée toute la nuit; je ne pouvais ni pleurer ni paniquer. Les gens auraient alors su que j’avais été violée », raconte-t-elle.
Rosalie, 17 ans, a connu le même enfer: violée par un soldat congolais en août, alors qu’elle allait chercher de l’eau, elle n’a pu en parler à personne. « Même si je le disais à mon père, il s’en moquerait », confie-t-elle. Elle s’est rendue à la même clinique que Rebecca, mais une fois encore, une femme en détresse a payé de sa santé la pénurie de médicaments. « Pas de tests VIH, pas de kits de prélèvement pour les victimes de viol, pas de médicaments contre la tuberculose », déplore le directeur Amos Agenonga Vyirodjo, qui travaille là depuis 13 ans. « Nous avons connu des ruptures de stock, mais jamais aussi longues. »
À la clinique Tuungane, près de l’aéroport de Beni, Giulia Kanugho Maghozi travaille au cœur d’une zone où des groupes armés affiliés à l’État islamique commettent des violences. De février à avril, l’établissement n’avait aucun kit PPE, et sept victimes de viol ont sollicité de l’aide. Le personnel, gagnant moins de deux euros par jour, a puisé dans ses propres économies pour payer le trajet en moto des patients vers l’hôpital local. « Nous essayons de faire le peu que nous pouvons », affirme-t-elle avec regret.
En RDC, la pénurie de PPE a provoqué une recrudescence du VIH et des grossesses imposées. Des femmes paient le prix d’un désengagement politique lointain, fruit de politiques américano-centrées sous l’administration précédente.