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Le Conseil constitutionnel rend son verdict. Les Sages doivent déterminer, jeudi 7 août dès 18 heures, si plusieurs lois récemment adoptées, et particulièrement critiquées, sont conformes à la Constitution. Dans un contexte politique et social tendu, les décisions seront scrutées de très près. De la loi agricole Duplomb à la réforme du scrutin à Paris, Lyon et Marseille, faisons le point sur les textes concernés.
La loi agricole Duplomb
Ce texte prévoit la réintroduction sous conditions d’un pesticide de la famille des néonicotinoïdes, l’acétamipride. Nocif pour la biodiversité, il est néanmoins autorisé ailleurs en Europe, et son retour est réclamé par la FNSEA, syndicat agricole majoritaire dans le pays, pour protéger des pucerons les filières de la betterave et des noisettes. La loi assouplit également la construction des retenues d’eau, des mégabassines et des bâtiments d’élevage intensif. Les débats autour de ce texte, puis son adoption, ont suscité une forte opposition dans la société civile. Une pétition déposée sur le site de l’Assemblée nationale a franchi la barre des deux millions de signatures, un record.
De leur côté, les parlementaires de gauche évoquent plusieurs soucis d’inconstitutionnalité, la considérant incompatible avec la préservation de l’environnement et le principe de précaution en matière de santé. « En général, le Conseil constitutionnel essaie de concilier les impératifs environnementaux avec la liberté économique », rappelle Thibaud Mulier, spécialiste en droit public. Toutefois, selon le politologue Benjamin Morel, il est possible que l’institution invoque « le principe de non-régression » environnementale. « En 2020, ils avaient déjà validé la réintroduction des néonicotinoïdes au motif qu’elle devait être temporaire, jusqu’en 2023 », poursuit-il. S’ils décidaient que la protection de l’environnement devait primer, ils pourraient censurer l’article sur l’insecticide controversé.
Les détracteurs du texte dénoncent par ailleurs la façon dont la loi a été adoptée, avec le vote d’une motion de rejet préalable à l’Assemblée qui a empêché tout débat et dépôt d’amendement par les députés. Si les Sages estimaient que cette procédure est inconstitutionnelle, ils pourraient censurer toute la loi. « Ce serait un désaveu cinglant » pour l’exécutif, estime Thibaud Mulier. Quelle que soit la décision du Conseil, le dossier ne sera pas clos. Une censure, même partielle, serait interprétée comme une victoire pour les écologistes et alimenterait la colère des principaux syndicats agricoles, tandis qu’une validation du texte risquerait de relancer la mobilisation citoyenne à la rentrée.
La loi sur le scrutin municipal à Paris, Lyon et Marseille
Plus technique, la proposition de loi dite « PLM », pour Paris-Lyon-Marseille, aligne le mode de scrutin municipal dans ces trois métropoles sur celui des autres communes, en supprimant les spécificités des arrondissements. Le texte, porté par le macroniste Sylvain Maillard et soutenu par l’exécutif, a été rejeté deux fois par le Sénat, où ses détracteurs de gauche comme de droite dénoncent un tripatouillage électoral et un passage en force, à moins d’un an des élections municipales. La réforme a accentué les divisions au sein du bloc central, y compris au sein du gouvernement.
La principale faille juridique est celle de l’irrecevabilité financière, selon les constitutionnalistes. « Ce texte crée des dépenses supplémentaires alors que les parlementaires n’ont pas le droit d’en faire, au nom de l’article 40 de la Constitution », analyse Thibaud Mulier. En effet, en instaurant deux scrutins distincts dans ces trois villes, cette loi engendrerait des coûts supplémentaires. « Si le Conseil veut censurer, il aura un angle d’attaque », résume Benjamin Morel. Les autres griefs contre le texte, comme l’inégalité entre les communes, sont jugés plus fragiles par les constitutionnalistes, au regard de la jurisprudence du Conseil.
La loi pour la refondation de Mayotte
Une loi organique et une loi de programmation ont été adoptées afin de reconstruire Mayotte après le cyclone Chido, en décembre. Si ces textes sont très attendus par la population locale, plusieurs mesures de lutte contre l’immigration, dans la loi de programmation, sont dans le viseur des députés écologistes, insoumis et socialistes. Il s’agit notamment du durcissement des critères d’obtention d’un titre de séjour pour les parents étrangers d’enfants nés à Mayotte. Par ailleurs, un logement dit « informel » ne sera plus considéré comme un habitat permettant de demander le regroupement familial.
« Une disposition autorise la rétention administrative d’un étranger accompagné d’un mineur, ce qui est dérogatoire au droit commun, et c’est aussi une atteinte possible à l’intérêt supérieur de l’enfant », souligne Thibaud Mulier. Une censure de ce volet représenterait un camouflet pour Bruno Retailleau, qui a fait de la lutte contre l’immigration sa priorité.
La loi sur la rétention des étrangers jugés dangereux
Le ministre de l’Intérieur scrutera également avec attention la décision des Sages sur le texte adopté après le meurtre de Philippine, une étudiante de 19 ans dont le corps a été retrouvé dans le bois de Boulogne en 2024. La proposition de loi permet d’allonger la durée de rétention d’étrangers jugés dangereux, de 90 jours actuellement jusqu’à 210 jours.
Bruno Retailleau a salué « une avancée majeure » mais la gauche et des associations dénoncent un texte « démagogue », « qui affaiblit notre État de droit ». Le texte intègre également le placement en rétention de certains demandeurs d’asile « dont le comportement constitue une menace à l’ordre public ». Ces mesures avaient été largement censurées lors de la précédente loi immigration.