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Lors d’une table ronde sur Bertolt Brecht à Ravenne, une question provocatrice a été posée au public : si se déclarer antifasciste est aujourd’hui quasiment un réflexe pour les progressistes et la gauche, combien seraient prêts à se revendiquer anticapitalistes ? Cette interrogation met en lumière une fracture profonde au sein de la gauche contemporaine, où l’opposition au fascisme ne s’accompagne que rarement d’une remise en cause du capitalisme. Ce débat, loin d’être nouveau, fut au cœur de la pensée de Brecht dans les années 1930, alors que le nazifascisme prenait de l’ampleur en Europe.
Un combat indissociable : antifascisme et anticapitalisme selon Brecht
Dans les années 1930, confronté à la montée du nazifascisme qui le poussa à l’exil dès 1933, Bertolt Brecht défendit avec ferveur l’idée que la lutte contre le fascisme ne pouvait être dissociée de la lutte contre le capitalisme. Pour lui, le fascisme était une manifestation extrême et déguisée du capitalisme, un système qui, selon lui, opprimait et trompait sous une forme plus brutale.
Cette conviction prit forme notamment lors du premier Congrès international des écrivains pour la défense de la culture, organisé à Paris du 21 au 25 juin 1935. Ce rassemblement d’intellectuels contre le nazifascisme tourna court, miné par des divergences sur le communisme et la relation à l’Union soviétique de Staline. Brecht, fervent défenseur de l’alliance avec l’URSS, exhorta ses pairs à ne pas se limiter à défendre la culture, mais à comprendre les racines profondes du mal, identifiées dans les « rapports de propriété ».
Une analyse toujours pertinente face aux défis actuels
En 1935, Brecht publia un texte fondamental intitulé Cinq difficultés pour qui écrit la vérité, présenté comme l’un de ses écrits extrathéâtraux les plus puissants. Il y dénonce notamment le danger de séparer fascisme et capitalisme, rappelant que réduire le fascisme à une simple « barbarie » relève d’une lecture erronée.
Selon lui, « le fascisme est une phase historique où le capitalisme s’est infiltré », et dans les pays fascistes, le capitalisme ne se manifeste que sous cette forme la plus crue et oppressive. La véritable lutte contre le fascisme doit donc être aussi une lutte contre le capitalisme lui-même.
Il affirmait ainsi que ceux qui combattent le fascisme sans s’opposer au capitalisme sont comme des personnes qui voudraient manger du veau sans voir le sang versé, critiquant uniquement la « barbarie » visible sans s’attaquer à ses causes profondes.
Un avertissement pour la gauche contemporaine
À l’heure où les néofascismes et néonazismes connaissent une recrudescence inquiétante, le message de Brecht reste un avertissement essentiel. Comment espérer vaincre ces idéologies sans remettre en cause le système capitaliste qui, selon lui, les nourrit et les façonne ?
La gauche d’aujourd’hui, souvent réticente à questionner ce « totem » considéré comme immuable, paraît s’éloigner de cette analyse, créant une faiblesse face aux défis politiques actuels.
Ce questionnement a été au cœur d’une rencontre tenue le 24 avril 2024 à Ravenne, lors de la représentation de Santa Giovanna dei Macelli, une pièce de Brecht mise en scène par Davide Sacco et Agata Tomšič. Cette dernière interprète également la version scénique de Cinque difficoltà per dire la verità (Cinq difficultés pour dire la vérité), un texte qu’ErosAntEros porte sur scène depuis plus de dix ans sous le titre Sulla difficoltà di dire la verità.