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Un pas décisif vers la reprise des échanges économiques dans la région : la Syrie et la Turquie ont signé, il y a deux semaines, un protocole d’accord pour relancer le transport routier (transit) et le commerce bilatéral, mettant fin à plus de 15 ans d’interruption. Ce rétablissement ouvre de vastes perspectives pour les commerçants et les entreprises de transport, d’autant que la route terrestre entre les deux pays est longtemps restée un corridor vital pour le passage des marchandises entre le Golfe et l’Europe.
Cette avancée fait suite à plusieurs mois de négociations, dans un contexte régional marqué par des transformations incitant à privilégier la coopération économique comme moyen d’atténuer les tensions politiques et de rétablir les liens de voisinage. Ces derniers jours, les autorités turques ont déjà allégé certaines restrictions, permettant notamment le passage de catégories spécifiques de voyageurs, en particulier les détenteurs de la nationalité turque et les étudiants. Ces gestes sont interprétés comme le signe d’une évolution progressive des relations bilatérales vers une ouverture contrôlée, selon des observateurs.
Au-delà des secteurs commercial et logistique, cet accord est accueilli comme un espoir pour les communautés frontalières, gravement affectées par les années de coupure. Il devrait également contribuer à remettre la Syrie sur la carte du transit régional et à réduire les coûts élevés générés par les circuits alternatifs indirects adoptés ces dernières années.
Relance du transport routier et comité bilatéral
Dans ce cadre, Mazen Allouch, directeur des relations à l’Autorité générale des points de passage terrestres et maritimes en Syrie, a déclaré à Al Jazeera que son institution avait signé un protocole d’accord avec le ministère turc des Transports et des Infrastructures pour réactiver la coopération bilatérale dans le domaine du transport routier international de passagers et de marchandises.
Cette entente facilite ainsi le passage des camions et des opérations de transit sur les territoires des deux pays. Le protocole reprend les dispositions de l’accord de transport routier international conclu en 2004, incluant l’utilisation réciproque des installations Ro-Ro (navires roulants pour véhicules). Il établit aussi une procédure commune et raisonnable de délivrance des visas de transit, avec la perspective de renforcer ce dispositif selon l’évolution des besoins commerciaux.
Par ailleurs, les parties se sont engagées à simplifier l’obtention des visas pour les conducteurs professionnels, à renforcer la coopération dans l’organisation du transport terrestre, à moderniser les réglementations et normes techniques, ainsi qu’à participer aux conventions internationales pertinentes, notamment par des programmes de formation conjoints.
Le comité mixte pour le transport routier sera aussi remis en fonction afin de superviser la mise en œuvre du protocole et de résoudre tout obstacle administratif ou logistique pouvant entraver la circulation des marchandises et des passagers.
Concernant des rumeurs récentes attribuant des amendes aux Syriens détenteurs de la nationalité turque résidant en Syrie, Mazen Allouch les a formellement démenties. Il a précisé qu’aucune sanction automatique n’était appliquée ; seule une infraction financière est prévue pour ceux qui dépasseraient une absence continue de 180 jours hors du territoire turc. Il a invité les citoyens à consulter les sources officielles ou les points de renseignements aux frontières, afin d’éviter d’être induits en erreur par des informations non vérifiées.
Nouvelle organisation pour les passages individuels et statut des résidences temporaires
Sur le volet des passages frontaliers des personnes, Mohamed Akta, directeur général d’une plateforme regroupant des organisations de la société civile, a annoncé la mise en place depuis le 1er juillet d’un mécanisme réglementaire pour les passages terrestres entre la Turquie et la Syrie.
Selon ses déclarations sur la page officielle de la plateforme sur Facebook, les mesures concernent deux catégories principales :
- Les Syriens à double nationalité,
- Les Syriens mariés à des citoyens turcs sans avoir acquis la nationalité turque.
De plus, les Syriens ayant ultérieurement obtenu la nationalité turque peuvent désormais traverser les points de passage uniquement avec leur passeport turc, sans documents supplémentaires.
Le Dr Qutaiba Al-Farhat, professeur à l’université de Kartak et spécialiste des questions turques, estime que la position géographique reliant la Syrie et la Turquie confère à ces deux pays un avantage économique important. Cette proximité facilite les échanges commerciaux, la mise en œuvre d’accords et le développement des chaînes logistiques.
Il souligne le lien direct entre la robustesse des relations économiques et la solidité des relations politiques. Les récentes initiatives s’inscrivent dans une volonté claire de restaurer le partenariat bilatéral à travers des canaux économiques et transparents.
Néanmoins, le chercheur identifie plusieurs défis, notamment les infrastructures routières en Syrie, gravement endommagées, ce qui nécessite un investissement conséquent pour réhabiliter et sécuriser les axes de transport depuis les points frontaliers jusqu’aux passages vers la Jordanie, afin d’assurer un transit fluide et sûr des marchandises.
Il remarque également que la Turquie semble déterminée à bâtir des relations économiques équilibrées et mutuellement bénéfiques, comme en témoigne la simplification des formalités pour les chauffeurs syriens. Le Dr Al-Farhat anticipe un assouplissement accru des conditions pour les commerçants et le transport des biens.
Enfin, concernant le dossier des réfugiés syriens en Turquie, autrefois sujet à des tensions politiques internes, il note une nette diminution des tensions sur ce plan, ce qui ouvre la voie à des politiques économiques plus pragmatiques. La récente déclaration du ministre turc de l’Intérieur indiquant le maintien du statut de résidence temporaire pourrait faciliter la régulation du marché du travail, l’allégement des procédures d’obtention des permis de travail et l’intégration des Syriens dans les systèmes de protection sociale.
Perspectives pour la reconstruction
Le spécialiste syrien en économie Abd al-Azim al-Maghrebel considère cet accord comme une rupture majeure dans la structure du commerce régional. Il permettra de remplacer un modèle traditionnel inefficace par un système plus performant.
Il décrit que, auparavant, les conducteurs de camions devaient changer de véhicule aux points de passage, comme à Bab al-Hawa, en raison de restrictions sécuritaires et de procédures lourdes, ce qui entraînait des coûts importants et des retards.
Désormais, avec la mise en œuvre de l’accord, les camions turcs pourront accéder directement au territoire syrien, réduisant ainsi les frais de transport et accélérant les délais de passage des marchandises aux frontières.
Au-delà de l’aspect logistique, cette avancée renforce la position stratégique de la Syrie en tant que corridor terrestre reliant l’Asie à l’Europe. Cela s’inscrit dans le cadre de projets de réhabilitation d’axes routiers majeurs tels que l’autoroute M4 et la M5, reliés aux ports maritimes, notamment le port de Lattaquié. La création de zones de transbordement sec en partenariat avec des sociétés logistiques internationales comme CMA CGM ouvre de nouvelles opportunités pour l’intégration du transport maritime et terrestre, ainsi que pour l’optimisation des opérations de dédouanement et de classification logistique.
Al-Maghrebel relie cet accord aux transformations en cours dans les relations entre Damas et Ankara, le percevant comme un signe d’un rapprochement économique qui pourrait précéder une amélioration politique progressive.
Il conclut en affirmant que, dans ce nouveau contexte, la Syrie semble bien partie pour retrouver son rôle géo-économique en tant que porte d’entrée stratégique entre l’Asie et l’Europe, ce qui favorisera la coopération bilatérale et contribuera à un meilleur équilibre régional.