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Le terme « semi-conducteurs » peut sembler complexe et mystérieux, mais en réalité, ils sont omniprésents dans notre quotidien. Dans votre cuisine, par exemple, pensez à votre réfrigérateur, votre four, votre micro-ondes, votre climatiseur, votre lave-linge et votre lave-vaisselle. En sortant de la cuisine, vous les retrouvez dans l’écran de télévision, dans votre voiture, ainsi que dans votre téléphone, ordinateur portable et tablette, devenus incontournables.
En 2021, les semi-conducteurs dits analogiques, utilisés dans ces produits, ont enregistré un taux de croissance annuel remarquable, avec des ventes atteignant 74 milliards de dollars.
Mais au-delà de ces applications courantes, les semi-conducteurs dominent aussi les marchés des industries lourdes, de l’énergie solaire, du secteur militaire et bien d’autres. La question reste : comment cette matière est-elle devenue si centrale dans le monde moderne ?
La découverte fortuite des semi-conducteurs
Michael Faraday, chimiste et physicien anglais (1791-1867), a réalisé que la matière sur laquelle il travaillait possédait des propriétés électriques différentes de celles des métaux, contrairement à ce qu’enseignait son maître.
La découverte des semi-conducteurs fut largement accidentelle, comme c’est souvent le cas en science, lorsque de nouvelles observations émergent lors d’expériences sur des phénomènes connus. Au XVIIIe siècle, les chercheurs cherchaient à comprendre l’électricité et la conductivité électrique.
En étudiant les effets de la chaleur sur différents composés, notamment le sulfure d’argent (Ag2S), Faraday remarqua un comportement inhabituel : contrairement aux métaux, dont la conductivité diminue avec la température, certains matériaux voyaient leur conductivité augmenter. Ce fut la première étincelle dans la compréhension des semi-conducteurs.
Plus tard, en 1873, Willoughby Smith observa qu’une pièce de sélénium (Se) exposée à la lumière devenait conductrice, bouleversant complètement la conception de la matière.
En 1908, les chercheurs Johann Koningsberger et K. Schilling étudièrent comment la conductivité variait avec la température et identifièrent des matériaux qui ne se comportaient ni comme des métaux, ni comme des isolants.
En 1914, Koningsberger formula un classement en trois catégories selon la réaction de la conductivité à la chaleur :
- Les métaux, dont la conductivité diminue avec la température.
- Les isolants, dont la conductivité s’améliore légèrement à très haute température.
- Les semi-conducteurs, dont la conductivité augmente avec un léger accroissement de la température.
Le terme « semi-conducteur » fut popularisé par Joseph Weiss, élève de Koningsberger, qui créa le mot allemand « Halbleiter », signifiant littéralement « semi-conducteur ».
Par la suite, cette découverte ouvrit la voie à des inventions majeures, dont le transistor, un composant révolutionnaire qui a bouleversé le monde. Ses inventeurs ont reçu le prix Nobel de physique en 1956.
Du sable des déserts aux semi-conducteurs
Le silicium, deuxième élément le plus abondant dans la croûte terrestre après l’oxygène, constitue environ 28 % de celle-ci. On le trouve en grande quantité dans le sable des déserts, point de départ de la fabrication des semi-conducteurs.
La production des semi-conducteurs passe par cinq étapes principales :
- Extraction et purification du silicium à partir du sable.
- Fusion et moulage du silicium en lingots métalliques.
- Transformation de ces lingots en tranches extrêmement fines appelées wafers.
- Fabrication primaire (frontend) des circuits selon l’application ciblée.
- Fabrication finale (backend) et assemblage des composants.
Chaque étape est d’une extrême complexité, combinant processus chimiques et physiques très précis, supervisés par une armée de spécialistes, ingénieurs et chercheurs.
La chaîne de production du semi-conducteur est répartie mondialement :
- Les Pays-Bas dominent la fabrication des machines de photolithographie à travers la société ASML, indispensable à la phase frontend.
- Des pays comme la Chine et la Norvège sont leaders dans la première extraction et fusion du silicium.
- Cette interdépendance rend chaque pays indispensable dans la chaîne mondiale de production.
Chine et États-Unis cherchent cependant à localiser la totalité de la production sur leur territoire, pour ne pas rester dépendants de tiers dans ce secteur vital, véritable « artère » du monde moderne.
Du pétrole noir au « pétrole blanc » : l’essor économique des semi-conducteurs
Le marché mondial des semi-conducteurs, dans toutes ses applications, a atteint un volume estimé à 550 milliards de dollars en 2025. Il devrait dépasser les 650 milliards dès l’année suivante, avec une croissance constante pour dépasser le trillion de dollars en 2034.
Ce taux de croissance dépasse largement celui des dérivés pétroliers, atteignant presque le double d’ici à cette date.
Les différents acteurs dominent des segments variés :
- La Chine contrôle quasi entièrement le marché des semi-conducteurs pour le photovoltaïque, leader incontesté.
- Taïwan excelle dans la fabrication des wafers avancés, particulièrement sous la barre des 10 nanomètres, quasiment en situation de monopole.
- La Corée du Sud est également un acteur majeur dans ce domaine.
- Les États-Unis et la Chine ne figurent pas parmi les leaders dans les phases les plus sophistiquées de cette fabrication.
Les enjeux géopolitiques et la bataille mondiale des semi-conducteurs
L’industrie des semi-conducteurs est stratégique, car elle conditionne le développement de l’intelligence artificielle, des ordinateurs quantiques, mais aussi des drones et des technologies militaires de pointe.
Le contrôle de cette technologie détermine la supériorité dans les conflits modernes, comme en témoignent les tensions en Palestine et en Ukraine.
La rivalité entre la Chine, les États-Unis et l’Europe est intense :
- Face à la pandémie de Covid-19 révélant la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement, les États-Unis ont adopté en 2022 le « Chip Act », mobilisant 53 milliards de dollars pour relancer leur industrie, incluant 25 % de crédit d’impôt pour les acteurs du secteur et 20 % dédiés à la R&D.
- L’Union européenne a suivi avec un dispositif de 45 milliards de dollars pour renforcer son indépendance dans la production de semi-conducteurs.
- L’Allemagne a investi 40 milliards de dollars pour attirer des géants comme Intel et TSMC et lancer l’initiative ESMC, visant à transférer la technologie avancée vers l’Europe.
La Chine, pressée de combler son retard, a même subi des fuites de données sensibles via des employés d’entreprises comme ASML. La guerre des semi-conducteurs comprend aussi des arrestations, comme celle de Meng Wanzhou, cadre de Huawei, dans le contexte des tensions sino-américaines.
Ces développements démontrent que l’expression « guerre des puces » n’est pas qu’une métaphore.
Perspectives pour le monde arabe dans la filière des semi-conducteurs
Toutes les nations aspirent à figurer parmi les leaders technologiques. Dans cette bataille mondiale, le monde arabe dispose de plusieurs atouts :
- Une présence respectable de spécialistes et chercheurs dans le domaine des semi-conducteurs et de la microélectronique.
- Un besoin cependant de renforcer les effectifs et la formation pour répondre aux exigences croissantes du secteur.
- Des ressources naturelles, notamment dans le sable à haute teneur en silicium pur, offrent une opportunité d’entrée dans la chaîne d’extraction.
Par exemple, une entreprise allemande a récemment examiné le potentiel du silicium dans les sables soudanais avant le déclenchement du conflit actuel, sans que l’on ait davantage de nouvelles.
Cette situation rappelle certains épisodes historiques, où le contrôle des ressources stratégiques a été cédé à des puissances étrangères pour un prix dérisoire, suscitant une réflexion sur la nécessité de tirer des leçons du passé et de valoriser ces richesses de manière autonome.