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Le 24 juillet 2025, une nouvelle et violente escalade a éclaté dans le conflit territorial et culturel entre la Thaïlande et le Cambodge, une rivalité jusqu’alors relativement calme et peu médiatisée. Ce dernier épisode a causé la mort d’au moins 43 personnes, principalement des civils, des dizaines de blessés et le déplacement forcé d’environ 350 000 habitants de la région frontalière.
Cette flambée de violence fait suite à des échanges de tirs sporadiques intervenus le 28 mai 2025, où un soldat cambodgien a été tué. Après cinq jours d’affrontements, un cessez-le-feu inconditionnel a été conclu, grâce à une médiation tenue à Putrajaya, en Malaisie, entre le Premier ministre par intérim thaïlandais, Phumtham Wechayachai, et le Premier ministre cambodgien, Hun Manet, en présence du Premier ministre malaisien Anwar Ibrahim, président en exercice de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN).
Ce cessez-le-feu est cependant fragile. La Thaïlande a accusé le Cambodge de violation de la trêve, notamment d’attaques aux grenades sur des soldats thaïlandais dans la province de Sisaket, à l’est du pays. À l’heure actuelle, malgré des tensions toujours vives, le calme relatif demeure maintenu.
Origines et déroulement du conflit
Chaque pays revendique la responsabilité du déclenchement des hostilités. La Thaïlande affirme que le Cambodge a initié le conflit en lançant des roquettes sur quatre provinces civiles thaïlandaises, ce qui aurait provoqué une riposte militaire incluant des frappes aériennes à l’aide d’avions F-16 contre des cibles cambodgiennes. À l’inverse, le Cambodge accuse la Thaïlande d’avoir ouvert le feu sur ses forces stationnées au temple de Preah Vihear, un site revendiqué par les deux parties.
Le conflit, qualifié par la presse de « guerre des temples », est marqué par l’usage d’armes lourdes, y compris des missiles, drones, avions de combat et forces navales. Ces affrontements ont ravivé une querelle de longue date sur l’héritage culturel et le tracé des frontières héritées de l’époque coloniale.
Les racines historiques et territoriales du différend
- Le cœur de la dispute est le territoire autour du temple de Preah Vihear, édifice khmer édifié entre le IXe et le XIe siècle, inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.
- Les frontières ont été dessinées durant la période coloniale française. En 1907, une carte place le temple en territoire cambodgien, tandis qu’un accord de 1904, contesté par Phnom Penh, l’intègre dans une zone revendiquée par la Thaïlande.
- Durant la Seconde Guerre mondiale, la Thaïlande a brièvement pris le contrôle de cette région alliée à l’Axe, avant son retour sous administration française puis cambodgienne après l’indépendance.
- En 1962, la Cour internationale de justice a attribué la souveraineté du temple au Cambodge, mais sans trancher précisément la frontière environnante, alimentant tensions et nationalismes exacerbés de part et d’autre.
Ces controverses ont connu plusieurs pics de violence depuis 2008, avec un affrontement majeur en 2011 qui a causé des dizaines de morts et milliers de déplacés.
Conséquences socio-politiques
Le conflit a entraîné des restrictions économiques et diplomatiques, notamment l’interdiction par le Cambodge d’importer des fruits et légumes thaïlandais, et l’interdiction de diffusion de films thaïlandais, en réponse à des mesures similaires de la Thaïlande.
Le différend a également provoqué une crise diplomatique majeure, avec l’expulsion du diplomate cambodgien de Thaïlande et l’abaissement du niveau des relations diplomatiques bilatérales par Phnom Penh.
Les enjeux politiques internes
- La rivalité survient alors que les relations entre les clans politiques dominants des deux pays se complexifient, notamment entre la famille Shinawatra en Thaïlande et celle de Hun Sen au Cambodge.
- La libération en 2024 de Thaksin Shinawatra, ex-Premier ministre thaïlandais en exil, a intensifié les tensions, renforçant les liens avec le gouvernement cambodgien et provoquant un scandale politique en Thaïlande.
- Des écoutes téléphoniques ayant fuité, où figure la Première ministre thaïlandaise suspendue Paetongtarn Shinawatra s’adressant de manière familière à Hun Sen, ont ravivé les nationalismes et provoqué la suspension de ses fonctions.
Ces crises internes ont contribué à la montée des tensions et favorisé l’escalade militaire récente.
Supériorité militaire asymétrique
- Malgré cette escalade, la Thaïlande dispose d’une supériorité militaire nette sur le Cambodge en effectifs, budget et équipement.
- Les forces armées thaïlandaises comptent environ 360 000 personnels actifs contre 124 300 pour le Cambodge.
- Le budget défense thaïlandais atteint environ 5,73 milliards de dollars, contre 1,3 milliard pour le Cambodge selon les chiffres de 2024.
- La Thaïlande possède une flotte aérienne composée notamment de 112 appareils, dont 28 F-16, tandis que le Cambodge dispose d’un petit parc d’appareils anciens.
- La marine thaïlandaise est également largement plus nombreuse et équipée que celle cambodgienne.
Dimension religieuse et nationaliste
Une ironie majeure du conflit est que les deux États partagent une même tradition bouddhiste theravāda, religion historiquement associée à la paix et à la modération. Pourtant, les nationalismes des deux côtés se réclament souvent des valeurs bouddhistes pour justifier leurs revendications.
Ce recours à la religion pour alimenter le nationalisme illustre comment le politique instrumentalise les sentiments religieux à des fins identitaires et territoriales. En Thaïlande, notamment, la montée du nationalisme est étroitement liée à une fusion entre identité religieuse et patriotisme, souvent soutenue par l’institution militaire et les élites conservatrices.
Ce climat a contribué à durcir les positions sur les questions territoriales malgré l’héritage spirituel commun.
Perspectives et enjeux futurs
Le cessez-le-feu actuel, soutenu par la pression internationale chinoise et américaine, reste précaire. Le conflit reflète des enjeux mêlant souveraineté, héritage culturel, identité nationale et rivalités politiques internes.
La montée du nationalisme et les tensions sur le patrimoine rendent la situation volatile avec un risque élevé de reprise des hostilités dès que les conditions le permettront.
Ainsi, la « guerre des temples » sino-cambodgienne met en lumière comment les conflits contemporains peuvent s’enraciner dans des aspects culturels et historiques profonds au-delà des seuls intérêts économiques ou géopolitiques.