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Le chantier de l’EPR de Flamanville a connu un dérapage spectaculaire. Prévu pour être raccordé au réseau électrique français le 20 décembre prochain, ce réacteur, surnommé « Fla 3 », a déjà établi de nombreux records en matière de coûts et de délais de construction. Selon la Cour des comptes, cette situation résulte d’une estimation initiale considérée comme irréaliste.
Des prévisions erronées
Pour comprendre comment EDF a sous-estimé le coût et la durée de ce chantier, il est essentiel de revenir aux déclarations de 2006. À l’époque, EDF annonçait un coût d’investissement de 3,3 milliards d’euros et une durée de construction de cinquante-quatre mois, à partir du premier béton coulé. Le chantier a réellement débuté le 3 décembre 2007, avec des promesses de délais « réalistes et soutenables ». Cependant, la réalité a prouvé le contraire : la construction, initialement prévue pour s’achever en juin 2012, se terminera finalement à l’automne 2024, soit un délai multiplié par 3,8. Les coûts, quant à eux, culminent à 13,2 milliards d’euros, soit quatre fois le budget prévu.
Des plannings impossibles
Jean-Charles Risbec, ancien responsable de la politique industrielle à la CGT Normandie, souligne que les retards constatés doivent être mis en perspective avec l’estimation d’EDF, qui était selon lui « impossible à tenir ». D’autres témoignages, comme ceux de Christophe Cuvilliez, représentant syndical sur le chantier, pointent du doigt la « base de cinquante-quatre mois » comme un « mensonge industriel ».
Karine Herviou, directrice générale adjointe du pôle sûreté nucléaire, partage ce constat, affirmant qu’EDF a présenté des plannings irréalistes comparés à d’autres réacteurs plus simples. En effet, entre 1996 et 2000, le temps moyen de construction d’un réacteur dans le monde était de 121 mois.
Une division au sein de l’équipe de France
La question se pose : pourquoi EDF a-t-il promis l’impossible ? À la fin des années 1990, l’absence de besoin immédiat et le manque de soutien politique ont conduit EDF à rechercher des relais de croissance à l’international. Deux visions ont émergé : celle d’Areva, favorisant un modèle de vente « clés en main », et celle d’EDF, qui souhaitait conserver son rôle d’architecte-assemblier. Cette rivalité a entraîné des conséquences néfastes pour la filière nucléaire française.
Une offre pour contrer la concurrence
En 2003, Areva remporte un appel d’offres en Finlande avec une proposition de construction d’un EPR « clés en main » pour trois milliards d’euros et en quarante-huit mois. Pour rivaliser, EDF a dû estimer son projet à 3,3 milliards d’euros pour un chantier de 54 mois. Cette évaluation, selon Yves Marignac, expert nucléaire, était davantage influencée par des considérations politiques que par une véritable analyse technique.
Stratégies à risque
Face à l’offre d’Areva, EDF a opté pour une stratégie « too big to fail », espérant que personne n’oserait revenir en arrière une fois le projet lancé. Bruno Blanchon, délégué CGT d’Areva, a souligné que tous les acteurs ont surjoué l’optimisme pour vendre ce projet, ignorant les réalités des délais et des ressources nécessaires. Les conséquences de cette compétition sont désormais évidentes, avec des retards de douze ans et des dépassements de coûts significatifs.
Leçons à tirer
Ce fiasco servira-t-il de leçon pour l’avenir du nucléaire en France ? Certains experts, comme Yves Marignac, s’inquiètent déjà de la sincérité des estimations pour de futurs projets de nouveaux EPR. La nécessité d’une évaluation réaliste des coûts et des délais apparaît plus que jamais cruciale pour éviter une répétition des erreurs du passé.