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Ouverture de la 83e session de la Commission africaine des droits de l’homme à Banjul
La capitale gambienne, Banjul, accueille la 83e session ordinaire de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, rassemblant un large éventail de représentants des États membres de l’Union africaine ainsi que des organisations internationales et régionales. Cette réunion s’inscrit dans le cadre des efforts visant à renforcer la protection des droits humains sur le continent, la Commission jouant un rôle clé au sein de l’Union africaine dans ce domaine.
Lors de cette session, un débat spécial a eu lieu dimanche dernier pour examiner la situation au Soudan. De nombreux défenseurs des droits de l’homme et responsables y ont pris part, notamment le président de la mission africaine d’enquête sur le Soudan, Hatem Saïm, le représentant d’Amnesty International en Afrique, Javit Bigon, ainsi que le délégué permanent du Soudan auprès de l’Union africaine, Al-Zain Ibrahim Hussein.
La session a été marquée par une forte participation des pays membres de l’Union africaine.
Une catastrophe humanitaire sans précédent
Hatem Saïm a ouvert la session en soulignant que la crise soudanaise représente désormais le plus grand cas de déplacement et de réfugiés dans le monde. Il a rappelé que la mission d’enquête, créée par l’Union africaine en mai 2024, a publié plusieurs décisions, communiqués et appels concernant les violations des droits humains au Soudan.
La mission, composée de quatre commissaires, a mené des rencontres diplomatiques avec des représentants des Nations Unies ainsi que les ambassadeurs du Soudan, du Tchad et de l’Égypte. Elle a également organisé des auditions à huis clos pour recueillir les témoignages des victimes et des témoins. Un rapport final, incluant des recommandations, est en cours de préparation. La mission envisage également une visite de terrain au Soudan dans un avenir proche afin d’entendre directement les victimes.
Amir Suleiman, représentant du Centre africain pour les études sur la justice et la paix, a alerté sur la progression vers une catastrophe humanitaire totale. Entrée dans sa troisième année, la guerre a engendré des actes de nettoyage ethnique pouvant être qualifiés de génocide, notamment à Geneina, mais aussi à El-Fasher et plus récemment à Al-Nehoud.
Il a insisté sur le fait que le peuple soudanais est la victime principale de ce conflit, et que les discriminations ethniques dans les violences et les déplacements risquent de déstabiliser les pays voisins, en raison des tribus transfrontalières. Il a lancé un appel urgent à l’Union africaine et au Conseil de paix et de sécurité pour une intervention immédiate.
Par ailleurs, Ikhlas Ahmed, coordinatrice du réseau « Siyaha », a souligné que la situation au Soudan, et particulièrement au Darfour, est catastrophique. Elle a dénoncé un génocide systématique visant des groupes ethniques spécifiques, avec un lourd fardeau supporté par les femmes dans cette guerre sans pitié.
Violations massives des droits humains
Ikhlas Ahmed a rapporté que son réseau a documenté plus de 372 cas de violences sexuelles depuis le début du conflit, incluant des viols collectifs et des cas d’esclavage sexuel. Elle a également mentionné 336 cas de disparitions forcées de femmes et de filles, dont plus de 88 % restent non retrouvées. Ces violences ethniques graves se multiplient particulièrement dans les camps de déplacés, notamment celui de Zamzam, qui abrite environ 500 000 personnes déplacées.
Elle a dénoncé les actes d’intimidation électronique et de représailles perpétrés par les Forces de soutien rapide contre les organisations de la société civile, y compris « Siyaha ». Elle a appelé à une intervention internationale urgente et à la création d’un tribunal spécial pour traiter les crimes commis au Soudan, en complément de la Cour pénale internationale. Elle a également tenu l’Union africaine pour responsable, tant sur le plan légal que moral, de la prévention du nettoyage ethnique et de la protection des femmes et des enfants.
Concernant la prolifération des armes et le rôle des puissances étrangères dans l’aggravation du conflit soudanais, Javit Bigon d’Amnesty International a présenté quatre tendances majeures et préoccupantes dans le trafic d’armes en cours dans le pays, contribuant à la perpétration de violations graves contre les civils.
Il a expliqué que les armes utilisées comprennent des munitions modernes introduites au Soudan avant ou pendant le conflit, ainsi que des armes civiles modifiées à des fins militaires, notamment au Darfour, où un embargo sur les armes est en vigueur depuis 2004. Le troisième phénomène concerne la transformation d’armes non létales en armes létales, comme les fusils à blanc modifiés. Enfin, le quatrième aspect est l’implication de pays étrangers dans le transfert clandestin d’armes via l’aéroport d’Um Jaras, à l’est du Tchad.
Ces modes d’approvisionnement illégaux facilitent la commission d’atrocités régulièrement documentées par Amnesty International et ses partenaires. Le représentant a appelé l’Union africaine et le Conseil de paix et de sécurité à agir rapidement pour sanctionner les fournisseurs d’armes et renforcer le contrôle des flux armés vers le Soudan.
Position du gouvernement soudanais
Al-Zain Ibrahim Hussein, délégué permanent du Soudan auprès de l’Union africaine, a présenté la position officielle de son gouvernement lors de cette session. Il a directement accusé les Forces de soutien rapide, qualifiées de milice, de commettre des crimes contre les civils.
Selon lui, la guerre a débuté suite à une tentative de coup d’État menée par ces forces le 15 avril 2023 contre le commandement général des forces armées soudanaises. Après l’échec de cette tentative, ces forces se sont transformées en une rébellion armée ayant recruté plus de 40 % de mercenaires.
Il a fermement rejeté l’assimilation des Forces armées soudanaises, qu’il décrit comme une armée nationale professionnelle soumise à l’autorité de l’État, à une milice rebelle. Il a ajouté que le déplacement des populations des zones contrôlées par les Forces de soutien rapide vers les zones sous contrôle de l’armée témoigne de la confiance des civils envers cette dernière, perçue comme un refuge sûr.
Hussein a insisté sur le fait que les auteurs de crimes doivent être reconnus comme criminels et non traités comme des acteurs politiques. Il a mis en garde contre l’implication d’acteurs étrangers dans l’intensification du conflit et a appelé l’Union africaine à adopter une position ferme pour mettre fin à ce soutien militaire illégal. Il a souligné que le silence international et régional aggrave la catastrophe et encourage la poursuite du génocide.