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Dans une démarche inédite, les Mexicains se sont rendus aux urnes dimanche dernier dans 19 des 32 États du pays pour élire 2 681 juges aux niveaux fédéral et local. Ce scrutin inclut notamment des magistrats de la Cour suprême et de la Commission électorale, marquant une première étape avant une seconde série d’élections prévue en 2027 pour les États restants.
L’ex-président Andrés Manuel López Obrador, ainsi que l’actuelle présidente Claudia Sheinbaum, ont qualifié ces élections de percée démocratique témoignant de la transparence et de l’objectivité que prône leur parti au pouvoir, Morena. Cependant, les forces de droite dénoncent ce scrutin comme une manœuvre populiste destinée à renforcer la corruption et la politisation du système judiciaire, appelant à leur boycott.
Quelles que soient les intentions réelles de la présidente et de son parti ou les critiques de l’opposition, comprendre les détails de cette initiative historique est essentiel pour évaluer objectivement sa portée.
Nature et objectifs des élections
Cette consultation électorale s’inscrit dans un programme de réforme judiciaire proposé par l’ex-président López Obrador et adopté par le Parlement en septembre dernier. Il vise à intégrer le pouvoir judiciaire dans le système de choix direct par les électeurs, à l’instar des pouvoirs exécutif et législatif, dans le cadre d’une « révolution démocratique globale ».
L’objectif principal est de briser l’emprise d’une minorité oligarchique profondément enracinée dans les rouages de l’État et de lutter contre la corruption et le favoritisme dans un pays où les cartels de drogue disposent de moyens puissants pour influencer la justice.
Outre l’instauration du scrutin direct, la réforme introduit plusieurs mesures significatives :
- Le renouvellement de la présidence de la Cour suprême tous les deux ans.
- La réduction du mandat des juges, passant de 15 à 12 ans.
- La diminution des salaires des magistrats, notamment celui du président de la Cour, auparavant supérieur à celui du chef de l’État.
- La diffusion en direct des séances de la Cour suprême, offrant aux citoyens une transparence accrue sur les performances des juges élus.
Contrairement aux accusations visant à soumettre le pouvoir judiciaire, les critères de sélection garantiraient en grande partie que les juges restent en fonction uniquement selon le degré de satisfaction des électeurs, indépendamment de leurs affiliations politiques.
Selon certains experts juridiques, cette réforme cherche surtout à contrer les « guerres judiciaires » récurrentes, où les forces politiques utilisent le système judiciaire pour persécuter leurs opposants sous couvert de la loi. Des exemples similaires ont été observés récemment au Brésil et en Équateur.
Cela pourrait aussi permettre au parti Morena, qui jouit d’un taux de popularité avoisinant 70 %, de protéger ses représentants contre de futures attaques judiciaires si l’opposition revenait au pouvoir.
Opposition et controverses suscitées
Les critiques envers ces élections se concentrent sur plusieurs difficultés pratiques :
- La complexité du processus de sélection, qui nécessite une bonne connaissance des candidats aux niveaux local et fédéral, souvent inaccessible au citoyen moyen.
- L’interdiction de financement des campagnes, limitant leur portée et rendant difficile l’information des électeurs.
- La longueur et la complexité du vote, parfois plus de cinq minutes, qui complique la distinction entre les nombreux candidats.
Un autre argument majeur avancé par l’opposition est la candidature d’environ 20 personnalités controversées, notamment l’avocate Silvia Delgado, ancienne défenseure du célèbre narcotrafiquant « El Chapo », ainsi que plusieurs avocats liés à des chefs de cartel, soulevant des doutes sur la crédibilité du scrutin.
Ce contexte a entraîné un taux d’abstention estimé à 87 %, beaucoup d’électeurs percevant cette élection comme une perte de temps, bien que la présidente Sheinbaum ait qualifié la participation de « très réussie ».
Le boycott a été notamment encouragé par des figures influentes telles que Ricardo Salinas Pliego, magnat des médias et des finances, qui dénonce une manœuvre populiste visant à contrôler le système judiciaire.
Cependant, les défenseurs de la réforme soulignent que Salinas, lui-même impliqué dans des affaires fiscales, bénéficie actuellement d’une justice influencée par le système en place, ce qui expliquerait son opposition acharnée.
Les partisans rappellent aussi que López Obrador a souffert de blocages judiciaires lors de ses propositions présidentielles, dus à la domination oligarchique sur la justice. Ils estiment que le scrutin pourrait remettre fin à cette mainmise et basculer vers une sélection fondée sur le mérite et l’intégrité.
Une enquête de l’organisation « Mexicains contre la corruption » a révélé que 500 juges fédéraux emploient près de 7 000 membres de leur famille dans le système judiciaire, un phénomène perçu comme inévitable par une partie de la société.
Une innovation historique au niveau mondial?
Le Mexique n’est pas le seul pays à recourir à l’élection directe des juges. Aux États-Unis, les électeurs de 43 États choisissent leurs juges locaux, bien que les modalités varient selon les régions.
En Amérique latine, la Bolivie a initié ce système pour quatre hautes juridictions constitutionnelles sous la présidence d’Evo Morales.
Au Japon, une pratique différente est en place : un référendum populaire tous les dix ans permet d’évaluer le travail des juges de la Cour suprême et de décider de leur maintien en fonction.