Le triangle de la production alimentaire mondiale est composé de « cultures », de « bétail » et de « humains » qui gèrent ce système. Alors que les discussions sur les effets du changement climatique sur l’alimentation se concentrent souvent sur les deux premiers aspects, peu s’attardent sur le troisième volet. C’est le problème auquel s’attaque une étude internationale dirigée par la Loughborough University en collaboration avec des universités australiennes et américaines.
L’étude, publiée dans le journal « Global Change Biology », attire l’attention sur le fait que le changement climatique entraînera une diminution de la capacité physique des agriculteurs. Elle souligne qu’à la fin du siècle, les événements météorologiques extrêmes pourraient entraîner une baisse de la productivité du travail allant jusqu’à 40 % dans les principales zones de production alimentaire telles que le Pakistan et l’Inde. Cette baisse pourrait atteindre 70 % dans d’autres régions agricoles clés en Asie du Sud et du Sud-Est, en Afrique centrale et occidentale, ainsi qu’en Amérique du Sud.
Selon le professeur Gerald Nelson, co-auteur de l’étude, « Les évaluations continuent de conclure que le changement climatique réduira la productivité des cultures et du bétail, aggravant ainsi les défis de la sécurité alimentaire. Cependant, nos résultats indiquent que les effets vont au-delà des cultures et du bétail. Les travailleurs agricoles qui cultivent, labourent et récoltent une grande partie de l’alimentation dont nous avons besoin souffriront également en raison de l’exposition à la chaleur, réduisant leur capacité à travailler dans les champs. »
Modèles de calcul… taux alarmants
L’étude a utilisé des modèles de calcul pour prédire l’ « aptitude individuelle au travail dans des conditions de chaleur » développés par l’Université de Loughborough. Les modèles ont été basés sur des données provenant de plus de 700 expériences d’exposition à la chaleur, couvrant un large éventail de températures, d’humidité et de conditions climatiques, y compris l’exposition au soleil et au vent.
L’évaluation de la capacité maximale de travail que les individus peuvent atteindre dans un climat frais a été utilisée comme norme pour l’étude, représentant une capacité de travail physique de 100 %. La diminution de cette capacité signifie que les gens sont limités dans ce qu’ils peuvent faire physiquement, même s’ils ont la motivation pour travailler. Cela peut se traduire par le besoin pour les agriculteurs d’avoir recours à des travailleurs supplémentaires pour effectuer le même travail, et en l’absence de ceux-ci, la diminution de la taille de leurs récoltes.
L’étude révèle que les travailleurs agricoles ressentent effectivement la chaleur, les estimations indiquant que la moitié des agriculteurs dans le monde travaillent à moins de 86 % de leur capacité dans des conditions climatiques proches des conditions étudiées (1991-2010). Comme une prochaine étape, l’étude examine les modifications potentielles pour atténuer l’impact du changement climatique sur les travailleurs agricoles, démontrant que le passage au travail de nuit ou à l’ombre pour réduire l’exposition au rayonnement solaire améliore la productivité des travailleurs de 5 à 10 %.
Impacts directs et indirects
De son côté, le professeur d’économie agricole du Centre de recherche agricole égyptien, Khaled Suleiman, décrit les résultats de l’étude comme une bonne tentative pour attirer l’attention sur le troisième volet de la production alimentaire, qui est souvent négligé.
Il explique que le changement climatique a six impacts directs et indirects sur les performances des agriculteurs, qui peuvent être résumés comme suit :
- Impacts directs
1- L’augmentation des températures liées au changement climatique peut rendre les travailleurs agricoles plus exposés au stress thermique, et le travail dans des conditions extrêmement chaudes peut entraîner des maladies liées à la chaleur et la fatigue.
2- Le changement climatique est associé à une augmentation de la fréquence et de l’intensité des phénomènes météorologiques extrêmes, tels que les vagues de chaleur, les tempêtes et les inondations, qui endommagent les cultures, les infrastructures et les équipements, nécessitant un effort physique intense de la part des agriculteurs pour la récupération et la reconstruction.
3- Le changement climatique nécessite des changements dans les pratiques agricoles traditionnelles, comme la modification des calendriers de plantation et de récolte, l’ajustement des techniques d’irrigation, et l’adoption de nouvelles variétés de cultures, nécessitant souvent un effort physique supplémentaire de la part des agriculteurs.
4- Les changements dans les modèles de précipitations et l’augmentation de l’évapotranspiration en raison de l’augmentation des températures rendent l’eau plus rare dans certaines régions, et les agriculteurs peuvent avoir besoin de plus d’efforts physiques pour gérer l’eau, y compris la construction et la maintenance de réseaux d’irrigation, pour garantir des approvisionnements en eau suffisants pour leurs cultures.
5- Les agriculteurs ont besoin d’efforts physiques supplémentaires dans les mesures de lutte contre les ravageurs, tels que l’utilisation de pesticides et les stratégies de prévention des maladies, car les changements de température et d’humidité conduisent à l’émergence de nouveaux ravageurs et maladies.
6- Les changements de température et de précipitations peuvent modifier l’aptitude de certaines cultures à s’adapter à certaines régions, et les agriculteurs peuvent être amenés à passer à de nouvelles cultures ou à modifier les pratiques agricoles, ce qui peut nécessiter un effort physique supplémentaire. - Impacts indirects
Le changement climatique contribue à la propagation des maladies transmises par les vecteurs, à l’exposition à la pollution de l’air, et à d’autres risques sanitaires environnementaux, ce qui peut entraîner une détérioration de la santé et une réduction de la capacité physique des agriculteurs à participer à des activités agricoles intensives.
Le professeur et chercheur associé à l’Université de Loughborough, George Hafvenith, espère que cette recherche contribuera à comprendre les effets du changement climatique sur la productivité agricole.
Hafvenith déclare dans le communiqué de presse : « Comprendre pleinement l’impact du changement climatique sur la productivité des travailleurs nous permet de prédire l’impact économique du changement climatique et d’orienter les efforts visant à assurer la sécurité des travailleurs tout en réduisant les pertes de productivité. »
Il ajoute : « Nous espérons que cela contribuera à orienter les investissements pour soutenir les travailleurs agricoles et la sécurité alimentaire, car le changement climatique rend l’environnement de travail en plein air de moins en moins accueillant. »