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Projection du film « عباس 36 » en Jordanie : un écho fort à la mémoire palestinienne
À Amman, le documentaire « عباس 36 », produit par Al Jazeera Documentary et réalisé par Marwa Jbara avec la co-réalisation de Nidal Rafie, a connu un accueil remarquable lors de deux projections successives la semaine dernière. La première s’est tenue à l’association culturelle Waad dans la capitale, tandis que la seconde a eu lieu dans l’espace Zawaya à Irbid.
Après la première projection, un débat a rassemblé l’une des figures centrales du film, Dina Abu Ghaida. Un second échange s’est tenu après la deuxième projection avec Saed Al-Arouri, monteur du film, assisté par Dina Abu Ghaida en visioconférence. Ces discussions ont été animées par la journaliste Shorouq Tomar.
Les deux séances ont suscité un vif intérêt, notamment auprès du jeune public, qui représente une large part des spectateurs. Cela témoigne de l’importance accordée par cette génération à la transmission des récits de la Nakba et de l’exil palestinien. Cette mobilisation traduit aussi une conscience renforcée de la nécessité de préserver la mémoire collective et de consolider le droit au retour.
Une trilogie sur la Nakba, l’exil et le retour
« عباس 36 » propose une approche innovante de la trilogie Nakba, exil et retour à travers l’histoire d’une maison palestinienne située dans la rue Abbas à Haïfa. Cette maison a abrité deux familles palestiniennes à des périodes historiques différentes.
Le film suit la fille de la famille actuelle habitant la maison dans sa quête des premiers propriétaires, ponctuée de visites familiales et nationales. L’objectif est de construire un récit cohérent autour de ce lieu construit dans les années 1930, qui dépasse sa simple matérialité pour devenir un témoin de la Nakba et un mémoire vivante des générations.
Le film raconte l’histoire de la famille aristocratique Abu Ghaida, qui a construit et habité la maison jusqu’en 1948. Ils ont été contraints de quitter Haïfa sous la menace des milices sionistes lors d’une des plus grandes campagnes d’exode forcé subies par les Palestiniens. Depuis, la famille s’est dispersée dans 17 pays, portant avec elle un sens profond de l’identité, de l’appartenance et de la dignité, ainsi qu’une volonté ferme de résilience et de réussite.
Après la Nakba, une famille juive immigrée d’Autriche a occupé la maison, avant de la vendre à une nouvelle famille palestinienne, les Rafie. C’est là que débute la deuxième partie du film, centrée sur Ali Rafie, dont le père a été perdu lors de la Nakba, et sa femme Sara Jouda, originaire de Jérusalem et issue d’une famille détenant la clé de l’église du Saint-Sépulcre depuis des siècles. Malgré leur statut de propriétaires, ils n’ont jamais oublié que la maison avait des propriétaires légitimes expulsés.
Restaurer la mémoire à travers les générations
Le film suit deux récits parallèles et entremêlés :
- Le parcours de Nidal Rafie, la fille de Sara et Ali, qui cherche à retrouver la famille ayant construit la maison avant la leur.
- Le voyage de Dina Abu Ghaida, petite-fille des propriétaires originels, réfugiée ayant vécu en Syrie, au Liban, aux États-Unis et en Jordanie, porteuse d’un profond attachement à la maison ancestrale et d’un désir symbolique de retour.
Lors des débats post-projection, Dina Abu Ghaida a évoqué les émotions complexes ressenties lors de ses visites à la maison familiale, aujourd’hui habitée par d’autres. Elle a décrit la douleur de l’éloignement d’un lieu qui est pourtant sien, et la difficulté à retrouver le chemin des pièces et des espaces.
Elle a souligné que la défense du droit au retour doit s’accompagner d’actions concrètes, au-delà des simples rappels de ce droit. Ces pratiques peuvent varier selon les moyens de chacun, mais il est crucial d’utiliser tous les outils possibles pour avancer, même symboliquement, vers ce retour.
L’importance du montage et du récit cinématographique
Le réalisateur et monteur Saed Al-Arouri a partagé son expérience au sein de l’équipe, précisant que le montage n’a pas été un simple assemblage d’images, mais une tentative de réunir la mémoire de deux familles incarnant tout un peuple.
Il a expliqué que le film donne une vie humaine à la maison et montre comment un lieu peut symboliser à la fois l’exil, la persévérance et la volonté de retour.
Al-Arouri a aussi insisté sur la nécessité de poursuivre la production cinématographique dédiée à la documentation de la cause palestinienne. Il a rappelé que si la cause est unique, les histoires de souffrance sont nombreuses, et qu’il faut continuer à raconter ces récits.
Un témoignage visuel riche et émouvant
Shorouq Tomar, qui a animé les débats, a résumé les qualités du film « عباس 36 » :
- Une richesse visuelle et documentaire avec des photos anciennes, des lettres, des documents officiels détaillant la construction de la maison.
- Des scènes humaines empreintes d’émotions, où la famille Rafie transmet l’histoire de la Nakba et des anciens propriétaires aux jeunes générations.
- Des images poignantes des membres de la famille Abu Ghaida en diaspora, touchant la terre ou les branches d’olivier de Haïfa pour raviver le lien avec la terre natale.
Le film illustre comment la maison dépasse sa simple existence matérielle pour devenir un symbole puissant de mémoire, d’histoire et de souffrance partagée.
Il révèle les destins entrecroisés de ceux qui sont restés sur leur terre et de ceux qui en ont été chassés, affirmant que l’occupation peut changer la carte, mais elle ne peut effacer la mémoire ni briser le lien entre le Palestinien et sa terre.